À Tianyuan, une localité située à plusieurs dizaines de kilomètres de Beijing, les montagnes, comme des bras protecteurs, hébergent une ferme intégrée séduisante. Elle est la parfaite illustration que la nature, exploitée à bon escient, peut faire preuve de générosité sans être blessée.
Il y a de ces paysages au charme apaisant, faisant même oublier le temps mis pour un voyage de plusieurs heures. Sur le chemin de Tianyuan (district Huai Rou, au nord-est de la province de Beijing (Pékin), le relief accidenté impose les lois de la hauteur à notre bus qui arpente prudemment, pendant deux heures, une route sinueuse. Partout, des arbustes vêtissent de leur verdure les montagnes, réussissant à négocier avec les rochers pour s’agripper aux flancs. Une harmonie de la nature couronnée par un ciel orné de quelques nuages. Comme si elle ne voulait pas décevoir, la météo se fait inviter dans ce calme par un temps doux, de loin plus clément que l’étuve de Pékin qui peut dépasser les 40 degrés.
Loin de l’agitation de la grande capitale, avec plus de 21 millions d’habitants, une partie de la Grande muraille de Chine serpente le paysage avec ses miradors. Non loin de ce rempart médiéval contre les envahisseurs de Chine, dans une vallée arrosée par la rivière Huai Jin, niche discrètement la ferme piscicole de Tianyuan. Dans ses nombreux étangs et au milieu d’un concert strident de grillons qui rivalisent avec le bruit des pompes, nage un trésor : des truites dorées et noires très prisées. Elles viennent principalement des États-Unis ou de la Corée du Nord. Les rayons de soleil font scintiller leurs couleurs dans l’eau. Plus on avance, plus les poissons sont gros.
Un esturgeon de 30 ans À chaque battement de nageoires, les alevins qui ouvrent la marche se rapprochent de l’assiette des humains ; ils sont simplement revendus quand ils pèsent un demi à un kilogramme, selon la responsable de la ferme, Zhang Xiaoyu. Le kilogramme de ces poissons peut coûter jusqu’à 15 euros (près de 10.000 FCfa). Mais, il leur faut du temps pour grandir. « Leur élevage prend beaucoup de temps. Il ne faut pas trop les nourrir pour éviter qu’ils aient des problèmes de digestion et tombent malades. Ici, on nourrit les poissons une fois par jour pour préserver leur bonne santé. Leurs aliments sont importés du Danemark. La température du bassin ne doit pas dépasser 25 degrés non plus », insiste la responsable de la ferme.
Le monde aquatique étant très sensible, il est vital d’assurer une bonne qualité de l’eau à ces poissons en faisant un bon dosage entre celle de la rivière et celle des étangs. Un point tellement sensible que la ferme qui compte une trentaine d’employés a investi deux millions de yuans (environ 156 millions de FCfa) pour acquérir un système de traitement d’eau doté de deux barrages pour le contrôle du débit. Ce système circulaire, nous explique-t-on, permet de réutiliser la ressource prélevée à partir de la rivière Huai Jin, l’une des « rivières nourricières » de Pékin. L’élevage et la vente d’alevins assurent l’essentiel des revenus de la ferme, pouvant rapporter jusqu’à 4,5 millions de yuans (environ 351 millions de FCfa) par an. L’établissement a des clients chinois dont certains exportent les petits poissons vers le Viêtnam.
Dans les différents bassins remplis de poissons, fourmillent des esturgeons qui forment le gros de la troupe. Ses œufs, appelés caviars, valent leur pesant d’or. La nature a doté cette espèce d’une résistance qui lui assure une longévité pouvant aller jusqu’à 100 ans. Dans cette ferme implantée il y a 25 ans, le plus vieux poisson, acquis auparavant, a déjà 30 ans, à en croire Zhang Shizie qui a passé la gestion du site à sa fille de 35 ans. Ce, sans pour autant rester sur la touche. 80 % des esturgeons du monde élevés en Chine La blancheur de ses cheveux est reprise par ses moustaches et sa barbiche bien entretenues.
Très actif, peau bronzée à force de rester sous le soleil, le septuagénaire semble chercher la perfection, comme s’il voulait mériter son nom qui signifie en mandarin « le monde de l’excellence ». Il est le gardien d’un héritage acquis durement, après que sa famille a vendu une maison pour financer sa création. Dans une zone dont la nature est la seule richesse, les habitants la respectent et la valorisent, rassure Zhang Shizie, le regard fixé sur ses bassins. À côté des truites, les esturgeons constituent l’autre richesse de la ferme. Il s’agit de l’une des espèces les plus anciennes du fait de sa résistance, confie la gestionnaire.
Dans un des bassins, sont élevés des esturgeons uniquement destinés à la reproduction ; leur taille peut aller d’un à quatre mètres et leur poids jusqu’à 150 kilogrammes. Mais, l’espèce est, aujourd’hui, menacée de disparition. « C’est grâce à la pisciculture en Chine que ces poissons sont conservés. 80 % des esturgeons au monde sont élevés dans notre pays. Les caviars mangés aux États-Unis, en Russie, en Allemagne sont pondus par des esturgeons élevés en Chine », affirme Zhang Xiaoyu. Aussi 30 millions d’alevins sont vendus chaque année en Chine pour la reproduction. Après des études en management et un travail dans une entreprise à Beijing, la capitale, elle a décidé de venir prendre en charge l’entreprise.
L’installation sur le site a été encouragée par le gouvernement qui voulait que les Chinois mettent en place des programmes de revitalisation du monde rural avec un accent sur la promotion du tourisme dans les villages de la montagne. Depuis lors, la ferme a fait du chemin. Elle accueille en moyenne 20 000 clients par an, selon sa responsable. Le modèle d’exploitation est novateur, car en plus de la production et de la vente de poissons, la ferme de Tianyuan dispose d’un grand restaurant et d’une auberge. Ils reçoivent des touristes, mais aussi des Chinois qui veulent échapper à la pression de la ville.
La restauration rapporte entre deux et trois millions de yuans (196,5 millions de FCfa) chaque année. Les clients, en plus de venir déguster les plats à base de poisson de la ferme, sont immergés dans cette zone montagneuse bercée par les cours d’eau et une belle végétation. Ici, rien ne se perd, tout se transforme. Les déchets générés par les poissons sont réutilisés comme fertilisants pour le jardin de la ferme. Ses produits sont, en retour, servis dans les assiettes des clients avec de l’esturgeon.
Installé sur une superficie globale de 33 000 m2, le site piscicole sert de référence au gouvernement et à la province de Pékin pour la protection de l’environnement et le contrôle des autres fermes. « Cette ferme est unique dans la zone ; elle assure la production d’alevins pour la commercialisation, la reproduction des poissons et la restauration », se glorifie Zhang Xiaoyu. Une vingtaine de provinces de Chine sont régulièrement alimentées par la ferme amie de la belle nature de Tianyuan.
Malick CISS et Oumar KANDÉ (Envoyés spéciaux en Chine)