C’est une prise de position inédite en Israël. Dans un rapport publié le lundi 28 juillet 2025 et relayé par Radio France Internationale (RFI), deux organisations israéliennes de défense des droits humains – B’Tselem et Médecins pour les droits de l’homme-Israël – accusent publiquement l’État hébreu de commettre un génocide dans la bande de Gaza.
Alors que l’enclave palestinienne est ravagée par des mois de guerre et de blocus, et que le bilan humain approche les 60 000 morts, les deux ONG dénoncent une politique « intentionnelle » de destruction de la société palestinienne. Une première d’une telle ampleur pour des organisations israéliennes, dans un pays où le débat est étouffé par la douleur des attaques du 7 octobre et le poids de l’histoire.
« Rien ne vous prépare à réaliser que vous faites partie d’une société qui commet un génocide. C’est un moment profondément douloureux pour nous », a confié à RFI Yuli Novak, directrice exécutive de B’Tselem.
Après avoir compilé des milliers de données et de témoignages, l’ONG conclut qu’Israël mène une action coordonnée visant à anéantir les conditions de vie de la population gazaouie.
De son côté, Médecins pour les droits de l’homme-Israël s’est penchée sur la destruction systématique des infrastructures médicales, de l’accès à l’eau, à la nourriture, et à l’électricité. Des éléments qui, selon eux, s’inscrivent dans la définition juridique du génocide.
« C’est l’article [II de la Convention de 1948 sur le génocide] qui traite des destructions des conditions de vie, de telle façon qu’elles ne permettent pas la survie du groupe. Il n’y a plus de dialyse, plus de traitements oncologiques, plus de traitement du diabète. C’est une atteinte systématique, durable, aux infrastructures d’hygiène et de santé publique. Comment les gens sont-ils censés pouvoir survivre sans soins, sans infrastructures minimales ? », s’interroge auprès de RFI Guy Shalev, directeur de l’ONG médicale.
Selon lui, trois des cinq actes constitutifs du génocide définis par le droit international ont été commis par Israël à Gaza. L’organisation pointe également la responsabilité de nombreux responsables israéliens à travers leurs déclarations publiques, considérées comme révélatrices d’une intention génocidaire, un point qui divise encore les juristes.
Un débat muselé dans la société israélienne
Face à ces accusations, une grande partie de l’opinion publique israélienne demeure dans le déni, selon les analystes. Le politologue israélien Menahem Klein, interrogé par RFI, témoigne des résistances au sein même des cercles académiques :
« Je parle de génocide depuis des mois, mais mon milieu universitaire est tétanisé », affirme-t-il.
« Ce qui domine le discours, c’est la réponse de l’establishment : le gouvernement et l’armée qui disent : « qu’est-ce que c’est que cette histoire, il n’y a pas de famine à Gaza ». Ce déni de réalité, c’est le premier ressort ».
Dans une société marquée par la conviction que « l’armée israélienne est la plus morale du monde », porter un tel discours relève du combat. Cette croyance est d’autant plus ancrée que ceux qui combattent à Gaza sont souvent des proches : des enfants, des frères ou des sœurs.
« Porter un discours aussi peu audible dans leur pays est un combat »,
relèvent les deux ONG citées par RFI.
Elles estiment que la communauté internationale pourrait jouer un rôle crucial. « La pression, si elle était engagée contre le gouvernement israélien, serait notre meilleure alliée dans cette bataille ».
Des fissures dans le silence ?
Selon RFI, les ONG ont néanmoins le sentiment que l’opinion israélienne commence lentement à être exposée aux réalités de la guerre à Gaza. Les manifestations contre la guerre et les témoignages d’anciens soldats ou de journalistes indépendants pourraient participer à briser le silence.
« Je pense que nous n’aurions pas publié un tel document si nous n’avions pas pensé qu’il y a des gens prêts à écouter »,explique Guy Shalev.
« Notre espoir, c’est que ceux qui prendront totalement au sérieux ce document, le liront, paragraphe après paragraphe, verront ce que nous voyons ».
Cet appel lancé par deux voix issues de la société civile israélienne vient à un moment où la pression internationale sur le gouvernement Netanyahou s’intensifie. La reconnaissance d’un possible génocide par des ONG israéliennes pourrait peser lourd dans les débats à venir, tant devant l’opinion publique mondiale que devant les juridictions internationales.