Docteur en science politique de l’Université Paris 2, Ibrahima Dabo est spécialiste des relations internationales, de la Russie et de la guerre informationnelle. Diplômé aussi de l’Université russe de Nijni Novgorod, sa thèse porte sur les organes russes d’information et la guerre d’influence en Afrique francophone.
Entretien réalisé par Oumar NDIAYE
Pourquoi avoir choisi de travailler pour votre thèse sur les organes russes d’information et leur guerre d’influence en Afrique francophone ?
J’ai choisi de travailler sur « Les médias traditionnels et numériques dans la guerre d’influence en Afrique francophone : le cas particulier des organes russes d’information » parce que ce sujet me semble à la fois stratégique, actuel et encore peu exploré. Aujourd’hui, la guerre ne se mène plus uniquement par des moyens militaires, elle passe aussi — et de plus en plus — par les médias, qu’ils soient traditionnels ou numériques. L’information est devenue l’arme des temps modernes. Elle est utilisée comme un instrument de soft power ou de sharp power. Dans ma thèse, le cas particulier des organes russes d’information y est spécifiquement traité, mais son étude s’inscrit dans le cadre plus général de la guerre d’influence que se livrent en Afrique francophone les partenaires traditionnels et les puissances émergentes. Dans ce contexte, les organes russes d’information, tels que RT et Spoutnik, jouent un rôle central dans la diffusion de narratifs alternatifs, souvent critiques à l’égard de l’Occident, et séduisants pour une partie des opinions publiques africaines francophones. Ce sujet traite un enjeu géopolitique majeur et très actuel : la manière dont la Russie utilise ses médias internationaux pour mener des opérations d’influence contre les partenaires traditionnels. En analysant le cas spécifique des organes russes d’information en Afrique francophone, ma thèse met en lumière les enjeux de cette guerre d’influence et ses implications sur les dynamiques politiques, sociales et culturelles. Elle permet également de mieux comprendre les mécanismes de diffusion de l’information et les stratégies d’influence mises en œuvre par les acteurs internationaux pour influencer les opinions publiques.
La Russie fait partie des acteurs qui ont accru leur influence en Afrique ces dernières années. En quoi cette présence est différente de celle des autres ?
D’abord il est important de rappeler qu’au cours des dernières années, la Russie a renforcé sa présence en Afrique, notamment dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales à son encontre. Les deux sommets russo-africains à Sotchi et à Saint-Pétersbourg ont permis à Moscou de reprendre pied progressivement sur le continent. La présence russe en Afrique se distingue des autres acteurs internationaux par une approche moins économique, plus sécuritaire et idéologique. Contrairement à l’Union européenne, la Chine ou les États-Unis, dont l’implication repose souvent sur l’aide au développement, la coopération économique, les infrastructures, la Russie privilégie la coopération militaire et sécuritaire.
A ce jour, Moscou est le premier exportateur d’armes vers l’Afrique. Selon le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri), les ventes russes représentent 40% des importations d’armes dans la région sur la période 2018-2022 contre 16% pour les Etats-Unis. Le domaine de l’armement occupe une place importante dans la politique africaine de la Russie. Moscou signe des accords de défense, fournit des équipements militaires, déploie des sociétés paramilitaires comme le groupe Wagner devenu Africa Corps pour intervenir dans des pays confrontés à des crises internes, comme la Centrafrique ou le Mali.
La Russie mise sur des partenariats stratégiques, militaires et économiques, sans imposer de conditions, contrairement aux Etats-Unis et à la France. Tandis que la Chine se concentre sur la coopération économique et les investissements massifs, la Russie s’intéresse davantage aux secteurs de la défense.
Sur le plan économique, la Russie peut-elle concurrencer en Afrique les autres puissances comme la Chine, les États Unis ou les pays européens ?
Sur le plan économique, la Russie a une présence croissante en Afrique, mais elle reste encore loin derrière des puissances comme la Chine, les États-Unis ou les pays européens en termes d’investissements, d’échanges commerciaux et d’influence économique. Moscou ne peut pas concurrencer à égalité les grandes puissances économiques en Afrique, en tout cas pas dans l’immédiat à mon avis. Elle mise plutôt sur une stratégie opportuniste : renforcement les liens bilatéraux avec certains régimes, vente d’armements, coopération dans des domaines ciblés (sécurité, énergie et hydrocarbures). La Russie est un partenaire économique secondaire et ses relations économiques avec le continent restent modestes. Il y a peu d’investissements directs étrangers comparé à la Chine ou l’Ue.
Les échanges commerciaux entre la Russie et l’Afrique ont connu une croissance passant de 17 milliards en 2018 à 24 milliards en 2023. Les deux sommets Russie-Afrique en 2018 à Sotchi et en 2023 à Saint-Pétersbourg ont été une occasion pour la Russie de développer davantage ses liens économiques et commerciaux avec les Etats africains. Depuis quelques années, les entreprises russes sont très présentes sur le continent. C’est le cas de Rosneft et Gazprom qui s’intéressent particulièrement à l’exploitation des ressources pétrolières et gazières, notamment en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne. La Russie s’engage dans des projets d’exploration, de production et de transport de ces ressources. Moscou a également une forte présence dans le domaine nucléaire, à travers Rosatom, qui aide plusieurs pays africains à développer leurs capacités nucléaires pour la production de l’énergie.