Au fond d’une cour écrasée par la chaleur étouffante de Douala, Mathieu Njassep porte encore les séquelles d’une vie marquée par la lutte pour l’indépendance du Cameroun du colon français, une période ravivée par la publication d’un rapport sur cette époque, commandé à l’initiative des deux pays.
« Si la France ne reconnaît pas qu’elle a un délit, on ne peut pas pardonner », déclare en se remémorant ses longues années de combattant, Mathieu Njassep.
En 1960, alors qu’il n’avait que 21 ans, et que la partie francophone du Cameroun venait de se libérer de son statut de colonie française, le jeune homme intègre le « maquis » de l’Union des populations du Cameroun (UPC ) convaincu que son pays n’était pas « véritablement indépendant », raconte-t-il d’une voix calme.
Créé en 1948, ce parti anticolonialiste engagé dans la lutte armée a vu plusieurs dizaines de milliers de ses membres massacrés, réprimés dans le sang par l’armée française, puis camerounaise après l’indépendance. Le régime du président Ahmadou Ahidjo (1960-1982), étant accusé d’avoir confisqué l’indépendance avec l’aide de la France.
De cette époque, le vétéran et ancien secrétaire d’Ernest Ouandié, figure du mouvement, garde en mémoire « les villages brûlés » et les « populations déplacées dans des camps ».
Il porte aussi dans sa chaise des séquelles physiques de quatorze années passées en prison pour rébellion armée, dont près de trois à l’isolement, dans un cachot, sans jamais voir la lumière du jour.
Il y a quinze ans, Mathieu Njassep et des camarades de l’Association des vétérans de l’armée de libération nationale du Kamerun, dont il est actuellement président, ont tenté de faire reconnaître à l’Elysée la légitimité de leur lutte et pousser la France à leur verser des réparations. Une demande conservée lettre morte jusqu’à ce jour.
Aujourd’hui, une bonne fête des anciens sont morts.
Le vieillard de 86 ans, est devenu malvoyant et ne parvient plus à se déplacer sans prendre appui sur les murs du petit deux-pièces, qu’il partage avec une demi-douzaine de membres de sa famille dans un quartier pauvre de Douala.
Oublié pendant des années, Mathieu Njassep n’attend que très peu de choses du rapport commandité par les présidents français et camerounais à une commission de chercheurs de ces deux pays pour éclairer la période coloniale et post-coloniale de 1945 à 1971.
Au minimum « vérifier » et crédibiliser les dires des indépendantistes qui dénoncent toujours depuis les exactions françaises. Au mieux, « une compensation financière » pour « contribuer à reconstruire des villages détruits par la guerre » ou des « infrastructures dont le pays a besoin », espère le vétéran.
« Le tombeau des nationalistes »
Face au spectacle bruyant des chutes de la Metché près de Bafoussam dans l’ouest du Cameroun, Louise Mekah Fossi, murmure des paroles destinées à son père, membre défunt de l’UPC. Elle laisse s’écouler dans le cours de l’eau quelques fruits apportés en guise d’offrande.
Ces falaises d’une trentaine de mètres, sont le lieu de recueillement choisi par Louise. En 1957, son père Jacob Fossi a été tué en étant jeté du haut de la cascade par des soldats français. Il est connu pour avoir emporté un de ses bourreaux dans sa chute mortelle.
« De cette façon, il a sauvé la vie d’autres nationalistes qui devaient être exécutés cette nuit-là » par les mêmes bourreaux. « C’est le tombeau des nationalistes camerounais », dit-t-elle emplie de fierté.
L’histoire de son père fait aujourd’hui partie des récits les plus contés de l’époque et a été publié dans un livre.
« C’est le plus beau cadeau de ma vie », s’exclame la fille de maquisard, qui a appris à cinquante ans, à la faveur de la libération de la parole sur cette période troublée, l’histoire longtemps taboue de son père .
Dans sa quête de savoir, elle a dit avoir visité les archives coloniales de Vincennes en France, sans trouver aucune trace de l’histoire de son père.
« Mieux vaut tard que jamais », ironise Louise Mekah Fossi, sur la démarche des autorités françaises, estimant que le rapport remis mardi au président Paul Biya doit permettre aux Camerounais de « réécrire leur histoire ».
« Ce qu’on a appris jusqu’à maintenant, ce n’était pas l’histoire du Cameroun. C’est ce que la France a voulu qu’on apprenne, qu’on sache. Mais notre propre histoire, elle sera écrite par nous-mêmes », espère-t-elle.
AFP