Passes d’armes verbales. Entre cer tains États africains et le président français Emmanuel Macron, le courant semble prendre un court- circuit avec des étincelles qui ont fait que chacune des parties donne sa version sur le départ des militaires français en Afrique. Lors de la conférence des Ambassadeurs en France, qui s’est tenue le lundi 6 janvier, le président français Emmanuel Macron a consacré une partie de son discours à la fermeture des bases militaires françaises en Afrique soulignant qu’il s’agit d’un départ négocié.
« C’est par simple commodité et par politesse que la France a consenti la primeur de l’annonce à ces pays africains », a rembobiné le chef de l’État français. Suffisant pour créer de l’électricité dans l’air avec des réponses de la part du Premier ministre sénégalais, Ous- mane Sonko. « Je tiens à dire que, dans le cas du Sénégal, cette affirmation est totalement erronée. Aucune discussion ou négociation n’a eu lieu à ce jour et la décision prise par le Sénégal découle de sa seule volonté, en tant que pays libre, indépendant et souverain », a-t-il répondu. Du côté des Tchadiens aussi c’est sur le même ton qu’il a été demandé « à ce que la France respecte les décisions et la politique souveraine du peuple tchadien ».
Le retrait des militaires français en Afrique a été acté dans la dernière semaine du mois de novembre dernier.
De manière concordante ou isolée, deux États africains, le Tchad et le Sénégal ont décidé de mettre fin à la présence des bases militaires françaises dans leurs pays. Dans un communiqué de presse publié le jeudi 26 novembre 2024, alors que le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, venait juste de terminer une visite à Ndjamena, le gouvernement dit avoir mis fin à sa coopération militaire avec l’ancienne puissance coloniale française.
« Le gouvernement de la République du Tchad informe l’opinion nationale et internationale de sa décision de mettre fin à l’accord dans le domaine de la défense signé avec la République française », lit-on dans ce communiqué. Décision surprenante. Le même jour, dans un entretien avec plusieurs médias français, France 2, Afp et Le Monde, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a laissé entrevoir aussi un départ des troupes françaises du Sénégal. « Est-ce qu’en tant que Français, vous envisagez de nous (Sénégalais) voir dans votre pays (la France) avec des chars, des véhicules militaires, des militaires avec des tenues sénégalaises parce que sur le plan historique la France a pris des esclaves, colonisé et est restée? Quand vous inversez les rôles, vous concevrez très mal qu’une autre armée, la Chine, la Russie, le Sénégal ou autres puissent avoir une base militaire en France », avait répondu le Président sénégalais à France 2. Dans l’interview de l’Agence France Presse, le chef de l’Etat sénégalais a été plus clair.
Il a expliqué que le Sénégal est un pays indépendant, souverain et la souveraineté ne s’accommode pas de la présence de base militaire dans un pays souverain. En Côte d’Ivoire aussi, lors de son message de fin d’année, le président ivoirien Alassane Ouattara, a informé la rétrocession du camp de la 43ème Bataillon d’infanterie marine (Bima) d’Abidjan à l’armée ivoirienne au cours de ce mois de janvier. En l’espace de deux mois, le dispositif militaire français en Afrique a connu une évolution rapide qui consacre la fin de toute une histoire. Une page qui se déchire plus qu’elle tourne dans certains cas.
Des Forces françaises du Cap-Vert aux Eléments français au Sénégal
Le dispositif militaire français au Sénégal a connu une évolution notable et considérable avec des changements de dénomination et de projection. Dans ce pays depuis l’indépendance, la présence française avait comme nom les Forces Françaises du Cap-Vert (Ffcv) avec beaucoup d’emprises dont le célèbre camp de la 23ème Bataillon d’infanterie marine (Bima) qui était basé à Bel-Air. C’est au courant de l’année 2011 que ce dispositif a été allégé à la demande de l’Etat du Sénégal avec le président Abdoulaye Wade. Cela, en concomitance et coïncidence avec l’option et la vision des autorités françaises d’alors qui avait inscrit le retrait progressif de leurs soldats français en Afrique dans Le Livre blanc de Défense et de Sécurité nationale de la France de 2008. « Les moyens militaires de la France prépositionnés dans plusieurs pays étrangers doivent être cependant reconfigurés. La France n’a pas vocation à être militairement présente en permanence sur les mêmes bases (…). La France procédera donc à la conversion progressive de ses implantations anciennes en Afrique, en réorganisant ses moyens autour, à terme, de deux pôles à dominante logistique, de coopération et d’instruction, un pour chaque façade, atlantique et orientale, du continent, tout en préservant une capacité de prévention dans la zone sahélienne », lit-on dans cet ouvrage qui est le condensé de la programmation militaire de la France.
C’est dans ce cadre que le camp Bel-Air été ainsi rétrocédé et est aujourd’hui occupé par l’armée sénégalaise. De même que les logements situés à Fann, actuel Ucad III, ceux en face de l’école de Police pour les familles des militaires. Les Éléments Français au Sénégal (Efs), qui est la dernière appellation du dispositif de l’armée française au Sénégal, étaient autour de 350 hommes et femmes. Ils sont implantés au quartier colonel Frédéric Geille à Ouakam et au quartier contre-amiral Protet (port militaire de Dakar). Ils disposent également d’une escale aérienne à l’aéroport militaire de Dakar-Senghor ; d’une station d’émission haute fréquence de la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (Dirisi) à Rufisque.
L’Afrique, théâtre des Opérations extérieures françaises
Epervier, Turquoise, Licorne, Serval, Sangaris, Barkhane, etc… Elles sont légions, les Opérations extérieures (Opex) de l’armée française projetées en Afrique. Dans la dernière décennie, celles de Serval et de Barkhane, qui se sont déroulées au Mali et dans la bande sahélienne, ont retenu le plus d’attention. Déclenchée à la demande du Mali en 2013, suite à la poussée jihadistes dans ce pays, l’Opération Serval a ainsi permis d’éviter à ce pays une partition et une situation sécuritaire particulièrement préoccupante. Avec l’engagement de milliers d’hommes avec un important appui aérien, Serval a aussi permis au Mali de recouvrer une bonne partie de son territoire qui était occupée par le groupes terroristes. Avec le déploiement Onusien, Serval va ainsi céder la place à une autre Opex plus large, Barkhane, qui aura le Sahel comme espace de projection avec en plus du Mali, des pays comme le Burkina, le Tchad, Niger, Tchad qui, avec la Mauritanie, constituaient le G5 Sahel. Avec d’autres partenaires européens, la France comme tête de file, Barkhane a ainsi aidé ces Etats dans le cadre de la montée en puissance de leur sysème de sécurité. Durant toutes ces Opex au Sahel, la France a utilisé ses implantations permanentes africaines au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon comme appuis et bases arrières. C’est avec la fin de Barkhane en 2022 que la réorganisation militaire française en Afrique a commencé à prendre forme parce que n’étant plus présent au Mali, au Burkina et au Niger.
Dans les bases permanentes aussi, une grande réflexion sur la reconfiguration du dispositif militaire français en Afrique confiée à l’envoyé personnel d’Emmanuel Macron en Afrique, Jean-Marie Bockel, est menée. Dans ses recommandations, il est noté « une volonté de mise en œuvre d’un partenariat de défense renouvelé, répondant aux besoins exprimés par les partenaires, et coconstruit avec eux, dans le plein respect de leur souveraineté ». La mission de l’ancien secrétaire d’État à la Coopération sous l’ancien président Nicolas Sarkozy concernait les quatre pays où sont implantées des bases militaires françaises sur le continent, hors celle de Djibouti : Sénégal, Côte d’Ivoire, Tchad et Gabon.
Djibouti, seule présence permanente restante
Le dispositif militaire français en Afrique avait deux façades, l’une atlantique avec des bases au Séné- gal, en Côte d’Ivoire et au Gabon. L’autre orientale et orientée vers l’Océan Indien avec Djibouti. C’est seulement dans ce pays que la France compte maintenir sa pré- sence permanente.
En visite dans ce pays lors de fêtes de fin d’année 2024, le président Emmanuel Macron avait insisté sur l’importance de la présence mi- litaire de la France à Djibouti pour le développement de sa stratégie dans la région indo-pacifique. « Cette présence à Djibouti, bien sûr, elle est également orientée vers l’océan Indien et l’Indo-Pacifique, et notre stratégie indo-pacifique réaffirmée, consolidée depuis le printemps 2018, ne pourrait se faire sans les forces françaises de Dji- bouti », avait-il souligné. Djibouti qui fait face à la Mer Rouge, important carrefour des chaînes d’approvisionnement lo- gistiques mondiales, est un cas particulier en terme de présence mili- taire étrangère. Ce pays abrite, en plus celle de la France, des bases américaines, chinoises, japonaises, italiennes et peut être prochainement russes.
Oumar NDIAYE
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GILLES YABI, PRESIDENT DU THINK TANK WATHI
« Les propos de Macron ne correspondent pas à la réalité »
Propos recueillis par Oumar NDIAYE
Analyste politique et docteur en économie du développe- ment, Dr Gilles Yabi est le fon- dateur et le président de West Africa Citizen Think Tank (Wathi). Depuis plusieurs an- nées, il a beaucoup réfléchi et écrit sur cette question des bases militaires françaises en Afrique et de manière générale sur les partenariats entre le continent africain et les autres parties du monde.
Comment analysez-vous la passe d’arme verbale entre le président français et certains Etats africains sur la fermeture des bases militaires françaises en Afrique ?
Le président Français Emmanuel Macron voulait d’abord s’adresser aux diplomates, aux fonctionnaires français et de manière plus large à l’opinion publique fran- çaise, en essayant de faire croire qu’il n’y avait pas de recul de l’influence française en Afrique sur le terrain militaire. Donc il a mis en avant le fait que c’était la France qui avait décidé de la fermeture de ces bases militaires et non les États concernés.
La réponse du Sénégal et du Tchad dément la position exprimée par le président Français. Lorsqu’on regarde les différents rapports qui ont été faits sur la restructuration de la présence militaire en Afrique depuis une dizaine d’années et un rapport d’information en 2014 par exemple qui avait été réalisé par une commission de l’Assemblée nationale française, ils proposaient le maintien de cette présence avec une diminution des effectifs. Entre-temps, il y a eu tous les développements militaires et politiques au Sahel et la montée d’une contestation de l’influence française dans la région et de cette présence militaire dans beaucoup de pays de la région.
L’idée d’une présence zéro ne faisait pas partie des recommandations notamment faites par l’envoyé spécial du président Macron Jean-Marie Bockel lorsqu’il s’est rendu dans les pays concernés à l’exception du Sénégal. Le calendrier électoral au Sénégal n’avait pas permis cette rencontre et le Premier ministre Ousmane Sonko avait exprimé de manière très claire la volonté de voir cette présence militaire disparaître. Il est clair que les propos du chef de l’État français peuvent s’appliquer à quelques pays comme le Gabon, la Côte d’Ivoire. Je pense qu’en ce qui concerne le Tchad et le Sénégal les propos du président français sur la paternité de cette décision ne correspondent pas simplement à la réalité.
Avec la fermeture de ces bases dans beaucoup de pays africains, croyez-vous que cela va- t-elle créer un vide sécuritaire que les systèmes de sécurité de ces Etats ne peuvent pas combler ?
Je ne crois pas vraiment que les départs des soldats français de ces bases permanentes créeront un vide sécuritaire. Il faut l’examiner pays par pays, contexte sécuritaire par contexte sécuritaire. Mais la réalité, c’est d’abord que les effectifs ne sont pas très importants et qu’il y a déjà eu plusieurs diminutions que ce soit au Sénégal, au Gabon ou même en Côte d’Ivoire.
Les effectifs ne sont pas de nature à représenter une véritable garantie sécuritaire pour les États qui abritent ces bases. Ces forces dites prépositionnées permettent de faciliter l’envoi de forces plus importantes en cas de besoin. Les forces prépositionnés au Sénégal, au Tchad, en Côte d’Ivoire ont servi beaucoup pour les opérations militaires françaises dans le Sahel. On ne peut pas parler de vide sécuritaire en particulier dans les pays qui ne connaissent pas des conflits armés et des si- tuations sécuritaires extrêmement difficiles.
Je pense qu’il faut surtout aussi signaler le fait qu’on n’a pas besoin d’avoir une présence mili- taire permanente d’un acteur extérieur et d’un pays partenaire pour bénéficier de coopération et de soutien militaire en cas de besoin. Cette nuance est importante.
De manière générale peut-on aussi s’attendre à un nouveau de type de relation entre les pays africains et la France à l’aune de la montée des discours souverainistes et de ce qui peut être qualifié de sentiment anti-français ?
L’expression sentiments antifrançais qui est très en vogue notamment dans les médias surtout français, ne représente pas la réalité. Il y a très peu de cas d’attaques ciblées de citoyens, touristes, entrepreneurs français qui vivent dans les capitales notamment ouest africaines.
Il y a par contre une contestation virulente de l’influence française, de la présence militaire française et parfois aussi de ce qui est perçu comme étant une influence économique qui reste assise sur l’influence politique héritée de la colonisation.
Évidemment, nous avons des changements qui sont en cours liés au discours souverainiste. Mais je crois plus profondément que ces changements s’inscrivent dans le cours naturel de l’histoire. C’est normal qu’à partir d’un certain moment, qu’il y ait une nouvelle génération d’Africains qui souhaitent avoir de nouvelles relations avec la France qui ne sont pas nécessairement des relations tendues mais qui soient des relations normales. Il y aura forcément une évolution des relations des pays africains et la France.
Mais je pense que cela va être déterminé à la fois par les changements au niveau des pays africains et en France.