Après avoir été, pendant plusieurs années, Secrétaire permanent du Comité paix et sécurité de l’Union africaine (Ua), à Addis-Abeba, et représentant du Sénégal dans cette organisation continentale, Amadou Diongue a été nommé dernièrement représentant résident de la Cedeao au Bénin. Dans cet entretien, il analyse les implications du conflit dans l’est de la République démocratique du Congo (Rdc).
En tant qu’ancien Secrétaire permanent du Comité paix et sécurité de l’Union africaine, quelles lectures faites-vous de la situation en Rdc ?
Il y a, dans cette affaire de la Rdc, des niveaux de complexité que nous ne pouvons pas ignorer pour qui veut chercher une solution durable et en toute bonne foi. La complexité du problème se situe déjà au niveau géographique avec la situation de ce pays au centre du continent, dans son positionnement géographique, dans sa géographie humaine et même dans sa géographie physique. Par exemple, le fleuve Congo est le plus puissant au monde en termes de débit. C’est un fleuve qui fait deux ou trois fois le débit de l’Amazonie. Le débit du fleuve Congo et sa puissance sont en mesure d’alimenter toute l’Afrique en électricité. Le projet de barrage Inga III, c’est à peu près 40 000 GW, c’est-à-dire pratiquement toute la consommation de l’Afrique. Donc, ce sont des choses qui comptent. Je crois comprendre que dans cette complexité, il faut aussi citer la géographie humaine au sein de laquelle vous avez la place et le rôle de la colonisation dans la répartition de la population ainsi que le découpage géographique des frontières aux indépendances. Ce sont des aspects qui ont leur importance, tout cela adossé à une richesse du sous-sol sans pareil sur le continent. Voilà où nous en sommes. À l’ère de l’électronique et des transitions écologiques, nous voyons un peu l’importance que revêt le sous-sol de la Rdc. Pas seulement pour les entreprises africaines, mais surtout pour les Occidentaux et pour le reste du monde de façon générale. Depuis quelque temps, en plus des Chinois et des Occidentaux, certains pays arabes ont une stratégie d’après-pétrole. Des pays comme le Qatar, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis sont en train d’acheter ou de nouer des partenariats autour des mines en Rdc. Cela veut dire que c’est un pays qui est tellement convoité.
Vous voulez dire que ce conflit est alimenté à la fois par des acteurs africains et internationaux ?
Nous ne pouvons ne pas voir un intérêt extra-africain dans l’affaire. J’ai parlé de la position géographique de ce pays. C’est cette position qui explique pourquoi il y a, sur le plan politique et de la résolution du conflit, différentes initiatives. La Rdc appartient à la Communauté économique d’Afrique de l’Est (Eac), à la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceac) et à la Communauté de développement de l’Afrique australe (Sad). Sa position géographique au milieu du continent lui dicte justement cette triple appartenance qui fait que les États africains voisins, frontaliers ou membres des mêmes organisations n’ont pas le même point de vue. La Ceac et la Sadc, à travers l’Angola, ont une certaine approche des choses. L’Afrique du Sud appartient à la Sadc et a aussi son intérêt et sa part à jouer ; le Rwanda appartenant à l’Afrique de l’Est avec le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie. Donc, nous voyons comment c’est complexe. Ce n’est pas pour rien que nous rappelons un peu l’histoire récente de la Rdc après le génocide rwandais de 1994. Il y a eu, en effet, la première guerre africaine dans ce pays. C’était la première guerre africaine qui a fait presque cinq millions de morts. Aujourd’hui, nous sommes après le génocide au Rwanda et cette guerre africaine en Rdc, en train de revivre les prémices d’une conflagration qui est exacerbée par cette nouvelle posture d’un monde fragmenté.
Quel est justement, aujourd’hui, le rôle du Rwanda dans ce conflit ?
Toute approche de la résolution des conflits doit aussi tenir compte de la psychologie politique. Dans le cas du Rwanda, il ne faut jamais oublier aussi les traumatismes du génocide de 1994. Actuellement, cela fait partie de l’Adn de ce pays qui essaie de se refaire après ces traumatismes-là. Donc, c’est un pays qui cherche à survivre dans une région où il s’est senti plus ou moins isolé pendant cette période. Je crois que c’est l’angle sous lequel il faut comprendre les Rwandais qui pensent qu’il faut qu’ils prennent des initiatives de prévention. Maintenant, les Nations unies et les pays, y compris certains États africains, ont relevé que le Rwanda est une partie prenante de la situation. Le président rwandais reconnaît, avec quelques nuances, qu’il est là et qu’il se défend. C’est une approche qu’il dit offensive-défensive. C’est comme cela qu’il faut comprendre la posture des Rwandais. Lors de la réunion qui s’est tenue, vendredi dernier, à Nairobi, entre les deux grands blocs, il y a eu les deux initiatives de la Sadc et l’initiative de l’Eac. En un moment donné, il y a eu une force conduite par le Kenya, donc de l’Afrique de l’Est invitée à plus ou moins jouer le maintien de la paix. La Rdc a jugé qu’elle n’avait plus besoin de cette force-là pour des raisons qu’elle a avancées, car elle ne faisait apparemment pas le travail. C’est comme cela qu’il faut lire le refus de la Rdc de négocier directement avec le M23 qu’elle considère comme une organisation terroriste.
Après la réunion des trois blocs, on a observé une baisse d’intensité des combats. Entrevoyez-vous une voie de sortie de crise ?
Le Conseil de paix et de sécurité se réunira en marge du prochain sommet de l’Union africaine prévue ce week-end. Donc, au niveau des chefs d’État et de gouvernement, ils vont entériner les décisions qui ont été prises à Nairobi le 8 février. Parmi ces décisions, il y a tout ce qui concerne le cessez-le-feu. C’est vrai que les combats ont baissé, mais la réalité sur le terrain, c’est qu’effectivement, il y a la progression du M23 et l’Alliance du fleuve Congo, d’une façon générale, avec l’appui avéré ou pas des forces rwandaises. C’est bien que le sommet ait justement lieu en cette période et permette un peu de stopper l’escalade, mais aussi de voir les différentes voies de solution à ce problème. Il y a eu beaucoup de mécanismes qui ont été mis en place pour la Rdc. Je peux citer l’accord régional de coopération de 2014 facilité par l’Union africaine et qui s’appelle «Accord pour la coopération et la sécurité en Rdc». Cela tenait jusqu’à malheureusement cette dernière offensive du M23 avec les conséquences et les ramifications que nous connaissons.
Donc, vous avez espoir que la diplomatie fonctionne ?
La diplomatie a, bien sûr, son temps et ses limites, mais nous n’avons pas d’autres alternatives. Il faut que nous fassions confiance à la diplomatie. L’un des aspects les plus importants dans la recherche d’une solution en Rdc, c’est l’inclusivité. La meilleure façon de trouver des solutions, c’est d’impliquer tous ceux qui, de près ou de loin, ont des intérêts et peuvent avoir la possibilité d’atteindre certains des concernés. En matière de résolution des conflits, il y a cet aspect-là. Donc, on met en commun nos capacités à parler aux uns et aux autres pour arriver à des consensus qui permettent d’aller vers les solutions que nous recherchons.
Comment analysez-vous l’effort de médiation du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye ? Est-ce que la diplomatie sénégalaise a une carte à jouer dans ce conflit ?
Le Sénégal est une voix qui porte. En Rdc, notre voix peut porter pour plusieurs raisons. Nous avons d’excellentes relations avec la Rdc et avec le Rwanda. Le Sénégal a commandé la Monusco pendant très longtemps. Le général Babacar Gaye était là-bas et en sait mieux sur toute cette région. En plus des voix collectives, c’est-à-dire des différentes initiatives, il n’est pas de trop que des voix individuelles, comme celle du Sénégal, se fassent entendre. Le Sénégal a toujours eu cette présence, cette sagesse de pouvoir parler aux uns et aux autres et de contribuer à résoudre un certain nombre de problèmes. C’est tout à l’honneur de notre Président d’avoir cette vision stratégique du règlement des conflits dans le cadre de ce que nous appelons «faire taire les armes». La fragmentation actuelle de notre monde est telle que nous avons beaucoup à craindre.
Propos recueillis par Seydou KA