Est-il mort ou vivant ? En Centrafrique, la disparition du chef rebelle franco-centrafricain Armel Sayo a engendré un flot d’informations contradictoires en ligne, dans un pays où l’opacité autour du sort d’opposants politiques est un terreau fertile pour la désinformation.
Cet ancien ministre et chef du groupe armé CMSPR (Coalition militaire de salut du peuple et de redressement) a été arrêté en janvier au Cameroun pour son implication présumée dans plusieurs attaques violentes contre l’armée centrafricaine.
Extradé vers la Centrafrique en mai, l’opposant au gouvernement de Faustin-Archange Touadéra était depuis emprisonné dans la prison militaire de haute sécurité du camp Roux, à Bangui.
Mais il y a une dizaine de jours, il a été extrait de sa cellule de prison et sa famille n’a plus de nouvelles. Son avocat n’a pas pu lui rendre visite dans l’établissement pénitentiaire où il est censé être détenu.
Ce silence radio inquiète en Centrafrique, où le régime au pouvoir « réprime la société civile, les médias et les partis politiques d’opposition » selon Human Rights Watch.
« La famille est en détresse (…) nous voulons juste qu’on nous dise la vérité », a déclaré à l’AFP Théodore Sayo, grand frère du chef rebelle.
D’autant que l’opinion publique s’est également saisie de son sort, et que de nombreux contenus en ligne affirment tout et son contraire.
– Vidéos générées par IA –
L’inquiétude de ses proches a été renforcée par la diffusion le 17 juillet d’une vidéo montrant le corps d’un homme gisant dans une flaque de sang. Plusieurs internautes affirment qu’il s’agit d’Armel Sayo et dénoncent un possible « assassinat ».
A l’inverse, certains prétendent dévoiler des preuves de vie. Une version grossièrement truquée de cette vidéo circule sur WhatsApp et montrerait Armel Sayo se redresser, sourire et saluer la caméra. Problème : sur ces images, il a trois bras et apparaît clairement le logo du logiciel d’intelligence artificielle PixVerse.
Une autre séquence largement partagée montre en plan grand un homme en treillis présenté comme Sayo et lui ressemblant, dans une pièce sombre et tenant la Une du 18 juillet d’un journal centrafricain. « Armel Sayo est bien vivant », avance certains, « grossier montage », soutient d’autres.
Difficile d’affirmer catégoriquement que l’intelligence artificielle est à l’origine de cette vidéo, car elles « sont de mieux en mieux réalisées », pointe Victor Baissait, spécialiste des images générées par IA. Il note cependant quelques indices suspects : « une image étrangement propre », un « zoom caractéristique de l’IA » ou encore un personnage « quasi inexpressif ».
Devant l’ampleur prise par l’affaire, les autorités centrafricaines ont tenté de rassurer. « M. Sayo est bien portant », a ainsi affirmé le procureur de la République centrafricaine Guy Damanguère, assurant qu' »Armel Sayo est détenu à Bangui » et qu’il l’a « rencontré jeudi dernier ».
Le gouvernement n’a pas donné de justification à sa sortie de cellule, mais a évoqué de nouvelles accusations contre lui. « Des documents compromettants » qui « retracent des plans d’attaque » de Bangui auraient été retrouvés sur son téléphone portable, a affirmé le ministre chargé de la communication Maxime Balalou lors d’une conférence de presse.
– Faux communiqués –
Au vu de la double nationalité du détenu, l’affaire remonte jusqu’au ministère français des Affaires étrangères. « Le président Touadéra m’a personnellement assuré que Monsieur Armel Sayo est vivant », a indiqué à l’AFP Bruno Foucher, ambassadeur de France à Bangui. Ce dernier a émis une demande de visite consulaire et dit faire depuis « preuve de patience ».
Toutes ces déclarations n’ont pas suffi à ralentir la propagation de la désinformation.
Circulent ainsi pêle-mêle sur la toile un télégramme douteux du président camerounais Paul Biya, dans lequel il demanderait des éclaircissements sur l’état de santé du détenu, ou encore un communiqué attribué à la « famille Sayo », dans lequel elle dénoncerait des « arrestations arbitraires » et exigerait des « explications ».
C’est un faux, assure le grand frère de M. Sayo à l’AFP. La famille, encore dans le flou concernant « l’état » d’Armel, s’est bien gardée de toute « communication sur les réseaux », explique-t-il.
Peinant à démêler le vrai du faux, Elvis Dengossin Matima – beau-frère d’Armel Sayo et mari de sa sœur, elle aussi arrêtée – vient d’écrire une lettre au président français Emmanuel Macron pour l’interpeller sur la situation de sa famille.
« On n’est pas rassurés du tout (…) On a demandé des preuves, mais ils ont du mal à les fournir », déplore-t-il.
Si Armel « est torturé et encore en vie, qu’on nous laisse lui apporter à manger et des médicaments », ajoute son frère Théodore Sayo, « S’il est réellement mort, qu’on nous remette simplement son corps, qu’on puisse l’enterrer dignement ».
AFP