Le journaliste Francis Kpatindé, enseignant à Sciences Pô Paris, analyse dans cette interview, le choix de Romuald Wadagni comme candidat à la majorité présidentielle et aussi les ressorts de la prochaine élection présidentielle béninoise.
La désignation de Romuald Wadagni comme candidat de la majorité au scrutin présidentiel béninois du 12 avril 2026 était-elle prévisible ?
Longtemps, le Président Patrice Talon a dissimulé son choix. Il estimait, sans doute, qu’il était prématuré, pour la sérénité de l’activité gouvernementale et la poursuite en ordre des chantiers en cours, de divulguer l’identité de son favori plusieurs années avant le rendez-vous électoral de 2026. Il savait, par ailleurs, que dans son entourage immédiat, les prétendants étaient légion. La plupart de ces fidèles des premiers jours remplissent les conditions prescrites par la Constitution pour briguer la magistrature suprême. Ils travaillent pour beaucoup avec le président depuis une dizaine d’années et peuvent donc légitimement prétendre à sa succession. Le Président Talon que j’ai rencontré à plusieurs reprises ces dernières années ne m’a jamais révélé le nom de son favori et ce n’est pas faute d’avoir essayé de percer le mystère. En revanche, il m’a fait l’honneur, lors d’un tête-à-tête privé en novembre 2024, d’en esquisser un portrait-robot qui ressemblait, à quelques coups de pinceau près, à celui sur qui s’est finalement porté son choix en concertation difficile, il est vrai, avec les dirigeants des deux grands partis de la mouvance présidentielle, l’Union Progressiste Le Renouveau (Upr) et le Bloc Républicain (Br). Ce choix, contesté par certains proches du président, n’est pas, à mon sens, un choix du cœur, mais celui d’une quête d’efficacité et de la raison politique. Romuald Wadagni, qui n’appartient pas au premier cercle de Talon, présente l’avantage aux yeux de ce dernier d’être, sur le plan fonctionnel, la cheville ouvrière d’un essor économique unanimement salué hors du Bénin et celui qui connaît par le menu les projets industriels et infrastructurels en cours depuis près de deux décennies.
Après sa décision de ne pas briguer un troisième mandat, Patrice Talon renforce la position du Bénin comme l’une des exceptions démocratiques en Afrique de l’Ouest…
Assurément. Cela dit, il a annoncé à plusieurs reprises, ces dernières années, qu’il ne briguerait pas un troisième mandat qui est prohibé par la Constitution béninoise. Beaucoup de ses concitoyens, et pas que de l’opposition, ne l’ont pas cru. Les Béninois réagissent à l’image de beaucoup d’autres Africains. Ils n’ont pas foi en la parole de leurs acteurs politiques. Ils savent qu’ici et là, sur le continent, beaucoup de dirigeants, pour certains octogénaires ou nonagénaires, s’accrochent désespérément au pouvoir. Pourtant, beaucoup d’indices montraient, depuis plusieurs années, que Talon inscrirait ses pas dans ceux de ses deux prédécesseurs immédiats. Les présidents Mathieu Kérékou et Thomas Boni Yayi se sont effacés après avoir passé, chacun, un double quinquennat à la tête de l’État. Depuis la Conférence nationale de février 1990, à laquelle j’ai assisté comme envoyé spécial de Jeune Afrique, aucun président béninois n’a outrepassé la limite des deux mandats. Il existe deux verrous constitutionnels pour conjurer une éventuelle dérive : l’âge (seuls celles et ceux qui ont entre 40 ans et 70 ans peuvent briguer la magistrature suprême) et la limite à deux du nombre de mandats. Comme si ça ne suffisait pas, Talon a introduit un verrou supplémentaire dans le texte constitutionnel : « En aucun cas, nul ne peut, de sa vie, exercer plus de deux mandats de Président de la République ». Je n’ai donc, pour ce qui me concerne, pas été surpris par l’annonce de son prochain départ. C’est dans l’ordre des choses et c’est en passe de devenir une tradition au Bénin.
Comment voyez-vous la prochaine élection présidentielle béninoise ? On prête à l’ancien président Boni Yayi l’intention de peser sur le scrutin.
Ce n’est pas une intention, mais une réalité. Le Président Boni Yayi a conservé un pied en politique. Il préside le principal parti de l’opposition parlementaire, Les Démocrates, sans pour autant occuper de fonction élective. Il a gardé une popularité réelle dans une frange de la population en usant d’une double casquette : à la fois leader politique et pasteur évangéliste. Parce qu’il a épuisé ses deux quinquennats et, subsidiairement, à cause de son âge (73 ans), il est définitivement hors course, mais rien, de jure, ne l’empêche de diriger une formation politique ni de se faire élire à la tête d’une mairie. Les Béninois attendent avec intérêt de connaître le nom du candidat qui bénéficiera de sa faveur. Dame rumeur en cite plusieurs parmi lesquels Éric Houndété, 62 ans, premier vice-président du parti, l’avocat Renaud Agbodjo, 43 ans, et Nasser Yayi, 48 ans, l’un des cinq enfants de l’ancien président.
Propos recueillis par Oumar NDIAYE