Chercheur au Groupe Afrique de l’Institut prospective & sécurité en Europe (Ipse), Jean-Claude Félix-Tchicaya analyse l’actualité africaine pour beaucoup de médias français. Originaire du Congo-Brazzaville, il jette un regard critique sur la crise qui secoue actuellement l’est de la République démocratique de Congo.
Quelle est la différence entre les autres rébellions qui ont secoué le Congo et celle actuelle du M23 ?
Au préalable, je voudrais installer plutôt le décorum juridique, c’est-à-dire que le droit international est bafoué, y compris via les troupes du Rwanda qui appuient le M23 et d’autres milices qui font alliance, de manière coalisée, pour agresser un pays. C’est un État qui, en plus de violer le droit international et économique, vient se servir dans l’est du Congo, que cela soit du cobalt, du coltan, de l’étain, pour soi-disant figurer dans les 10 premières Nations qui en produisent. Donc, il y a une double infraction. Je souligne qu’il n’y a aucun antagonisme entre les populations rwandaises et congolaises. Le problème, c’est entre gouvernants et certaines milices congolaises avec des revendications politiques alliées à un pouvoir qui surarme le M23. D’ailleurs, le Secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, dit que le M23 est plus armé que les troupes onusiennes. Qui est donc le fournisseur de cet armement qui est surpuissant ? Le Rwanda. Et qui arme le Rwanda ? Bien des responsabilités directes ou indirectes sont mêlées et il faut absolument situer les responsabilités et mettre un décorum juridique : le droit international est bafoué. Donc la différence, c’est qu’en 2012, les armes étaient déjà puissantes, mais elles le sont d’autant plus aujourd’hui. Ne serait-ce qu’au niveau de la performance des drones. L’armée de la République démocratique du Congo connait certes des difficultés internes inhérentes à celle d’une armée africaine. Aucune ligne, aucun alinéa du droit international ne donne le droit à M. Kagamé, chef de l’État du Rwanda, de se servir sur le plan des matières premières, de rentrer armé et de tirer soit sur les populations, soit sur les militaires qui défendent dans leur droit strict l’intégrité de la souveraineté de la Rdc. Cela, il ne le fait pas seulement depuis 3 jours, pas seulement depuis 3 ans, mais depuis des décennies. Le Rwanda est aussi devenu une puissance régionale, continentale et mondiale en s’enrichissant de richesses qui ne lui appartiennent pas. Donc, voilà la différence entre 2012 ou il y a encore quelques années. Cet assaut a été réfléchi, préparé de manière stratégique. Aujourd’hui, qui sont les premières victimes de cela ? La population de Goma, non seulement le million d’habitants, plus le million de réfugiés, parce que l’assaut est passé de ville en ville et toutes ces cités se sont quasiment vidées.
La facilité avec laquelle la ville de Goma est tombée n’interroge-t-elle pas sur les capacités de l’appareil sécuritaire de la Rdc ?
Il ne faut pas aller un peu vite en besogne parce que la ville de Goma n’est pas encore tombée encore totalement. Il y a plusieurs fois de même des assauts répétés qui conduisent à ce que Goma vit aujourd’hui et la ville essaie de tenir. Goma, au moment où on parle, n’est pas totalement tombée. J’espère qu’elle va pouvoir résister. Je suis désolé d’y insister, mais ces manquements de l’armée congolaise sont le fait de l’affaiblissement des assauts répétés depuis des années par l’armée rwandaise et les milices. Mais aussi des milices intérieures congolaises qui ont des revendications politiques qui sont parfois légitimes sur le plan de la question sociale. Mais dès qu’il y a la prise d’armes et qu’une milice se met en place, là encore, c’est régi par le droit international et le droit national. Si la milice est alliée en plus à un Etat voisin, cela participe à déstabiliser son pays et non à répondre aux revendications sociales et économiques ou autres.
Comment voyez-vous l’évolution de la situation et la ramification de cette nouvelle crise en Rdc ?
Ma vision prospective, c’est qu’il va être très difficile d’asseoir à la même table M. Kagamé et M. Tshisekedi. Mais, on peut compter sur la diplomatie et la communauté internationale qui a aussi des responsabilités parce qu’ils ont soutenu M. Kagamé. Certains le lâchent depuis quelques jours. Mais, le mal est fait. Donc, appelez M. Tshisekedi, c’est la diplomatie. Mais, avant qu’il dise oui, il aura bien des choses à dire à certaines diplomaties et chancelleries. Sauf que les chancelleries du monde entier sur les 200 pays, je ne vois aucun pays qui peut se ranger aux côtés de M. Kagamé. Donc, c’est à la communauté internationale, à l’Union africaine, qui est née d’un concept panafricain, d’avoir le courage politique, géopolitique et de faire ce pour quoi cette structure est née. C’est mettre la pression sur un membre de cette Union qui participe à la désunion, au chaos du Congo. Donc de faire une pression diplomatique pour que la guerre puisse s’arrêter et qu’il y’ait un dialogue. Mais ce dialogue, il ne peut que commencer par dire : Monsieur, repliez-vous au Rwanda, et arrêtez de venir piller, sur le plan économique, les matières premières, retirez toutes vos troupes et ne soutenez plus les rebelles intérieures.
Plusieurs médiations ont été menées entre la Rdc et le Rwanda, sans succès. Croyez-vous que la voie diplomatique puisse régler cette guerre ?
Oui, la voie diplomatique peut encore avoir une chance sur le chemin qui est de plus en plus étroit, mais il faut quand même le maintenir. Ce n’est pas sûr que tout le monde va répondre présent à l’invitation du président du Kenya. Il va falloir absolument que les responsabilités soient situées et tranchées. Si la communauté internationale dit à M. Kagamé de se retirer, de ne plus soutenir le M23 et autres et surtout de ne plus venir se servir, alors, nous allons voir la dégringolade économique du Rwanda. Cela va d’ailleurs souligner les faits qu’ils commettent depuis des décennies au plan économique. C’est plusieurs milliards de francs que perdent Goma, la Rdc et qui partent à l’extérieur. Je voudrais aussi mettre le doigt sur la responsabilité indirecte des multinationales, notamment les plus grandes industries technologiques qu’elles soient chinoises, d’ailleurs 80 % des mines appartiennent à la Chine, ou toutes les grandes entreprises que cela soit Apple, Microsoft, Samsung, les Coréens et autres. Elles sont toutes en train de se servir du coltan, du cobalt, de l’étain. Plus de 90 % des portables avec lesquels nous discutons, les ordinateurs, les batteries des voitures électriques et autres, ce sont à cela que servent le coltan, le cobalt et qui proviennent de cette puissance géologique qu’est la Rdc.
Propos recueillis par Oumar NDIAYE