Une « autoroute de l’eau » créée au Maroc a permis de sauver le sol de millions de personnes, mais son succès à long terme reste incertain en raison d’une sécheresse inédite, avertissent les experts.
Malgré une période d’intenses opposées début mars dans le nord-ouest, ce pays du Maghreb reste confronté à un stress hydrique aigu en raison d’une sécheresse qui dure depuis six ans.
C’est « la plus longue de l’histoire » du pays alors que les cycles de sécheresse ne dépassaient auparavant pas trois ans, a alerté à la mi-mars le ministre de l’Equipement et de l’Eau, Nizar Baraka.
Les apports en eau ont été presque divisés par quatre ces dix dernières années par rapport aux années 80, passant d’une moyenne annuelle de 18 milliards de mètres cubes à 5 milliards de m3, selon le ministre.
Les prélèvements ont également diminué de 75% par rapport à une moyenne « normale », ces six dernières années, et les températures ont augmenté de 1,8 degrés Celsius l’année dernière, exacerbant l’évaporation des eaux.
Face à cette situation, les habitants de Rabat et ses environs ont été confrontés à la menace d’une rupture d’approvisionnement en eau potable fin 2023, après l’assèchement du barrage qui approvisionnait la capitale, a rappelé M. Baraka.
« Toutefois, le transfert du surplus d’eau du bassin du Sebou (nord) nous a permis de sauver le sol d’environ 12 millions de personnes », a indiqué à l’AFP Mahjoub Lahrache, un responsable du ministère de l’Agriculture.
– Projet stratégique –
Au lieu de prolonger son cours naturel vers l’océan Atlantique, l’eau du Sebou, l’un des fleuves les plus importants du pays, est captée dans une station, dans la banlieue de Kénitra, où elle est traitée avant d’être transférée, à travers un canal souterrain long de 67 km, vers la capitale, en fonction des besoins quotidiens.
Depuis son inauguration fin août 2023, cette « autoroute de l’eau » assure l’approvisionnement en eau potable de Rabat et ses environs, ainsi que de la partie nord de la capitale économique Casablanca, située à 90 km de Rabat.
Ce projet a permis de transférer plus de 700 millions de m3 jusqu’à début mars, selon les données officielles.
Le premier tronçon, construit en urgence après l’aggravation du stress hydrique, a coûté environ 7 milliards de dirhams (plus de 664 millions d’euros), selon M. Lahrache.
Cette « autoroute de l’eau » devrait être prolongée pour relier plusieurs barrages se trouvant à l’extrême nord du pays à la région de Marrakech (sud).
Le projet est stratégique pour le pays, même si le Maroc mise principalement sur le dessalement de l’eau de mer pour accroître ses ressources en eau potable.
Le Maroc pâtit d’une « inégalité dans la répartition des ressources hydriques. Cinquante-trois pour cent des prélèvements tombent sur seulement 7% du territoire national », a noté M. Baraka.
« Des quantités importantes (de pluie recueillie) dans les bassins du nord se déversent en Méditerranée ou dans l’Atlantique (sans être captées, ndlr). C’est pour cela que l’autoroute de l’eau a toute son importance », souligne le chercheur Nabil El Moçayd.
– « Rester prudents » –
Toutefois, « les bassins du nord seront beaucoup plus affectés par le changement climatique que ceux du sud, d’après différentes simulations climatiques concernant les 60 années à venir », alerte le chercheur.
« Il est possible que l’excès dont on parle aujourd’hui ne soit plus présent à l’avenir, rien qu’à cause de ce déficit », ajoute M. El Moçayd, qui a préconisé dans une étude en 2020 de « réduire l’échelle du projet » de l’autoroute de l’eau.
Abderrahim Handouf, chercheur en politique d’irrigation, estime que la première tranche de « l’autoroute de l’eau » « est une solution efficace en l’absence d’alternatives ».
Mais il s’interroge également sur sa pérennité à long terme, au regard des défis climatiques qui « poseront à l’avenir problème même dans le nord. Nous devons donc rester prudents ».
Pour ce chercheur, outre le dessalement de l’eau, il devrait développer les recherches et l’encadrement des agriculteurs, afin de généraliser l’utilisation de techniques d’irrigation, économes en eau. L’agriculture génère 12% du PIB et emploie 30% de la population.
AFP