Des journalistes et plusieurs personnalités politiques tunisiennes, dont le plus célèbre des opposants au président Kais Saied, Rached Ghannouchi, ont été condamnés mercredi à de lourdes peines de prison pour « atteinte à la sûreté de l’Etat ».
Le verdict a été aussitôt évoqué par des proches d’accusés et par le syndicat des journalistes comme étant « politique » et « injuste ».
Déjà incarcéré, M. Ghannouchi, 83 ans et chef du parti islamo-conservateur Ennahdha, a été condamné à 22 ans de prison, ont indiqué à l’AFP deux avocats. Il s’agit de la peine la plus lourde à avoir été prononcée contre celui qui a été condamné dans d’autres affaires.
L’ancien Premier ministre Hichem Mechichi a lui été condamné par contumace à 35 ans de prison, selon les mêmes sources. Les journalistes Chahrazed Akacha et Chadha Hadj Mbarek ont respectivement été condamnés à 27 et cinq ans.
Mme Akacha a été jugée par contumace.
L’affaire est baptisée Instalingo, du nom d’une société de production de contenu numérique qui fait l’objet d’une enquête depuis 2021. Elle est accusée d’avoir servi de couverture aux personnalités citées pour comploter contre « la sûreté de l’Etat ».
Une cinquantaine de personnes étaient jugées, comme l’ancien porte-parole du ministère de l’Intérieur Mohammed-Ali Aroui et un dirigeant d’Ennahdha, Seyed Ferjani. M. Aroui a été condamné à 16 ans de prison et M. Ferjani à 13 ans.
– « Décidés d’avance » –
La fille de ce dernier, Kaouther Ferjani, a dit à l’AFP depuis le Royaume-Uni que le verdict était « un choc » même si elle s’attendait à une lourde peine.
« C’est une affaire politique », a-t-elle affirmé. Dans le cas de son père, « il n’y absolument pas de preuves, même pas de preuves montées de toutes pièces (…) Les verdicts étaient décidés d’avance, les juges n’écoutaient pas vraiment les plaidoiries ».
Rached Ghannouchi a refusé de se présenter devant les juges en l' »absence d’une justice indépendante », selon ses avocats. Il était d’ailleurs absent lors d’une audience mardi, a constaté une journaliste de l’AFP.
En 2022, M. Ghannouchi avait estimé que le dossier judiciaire était « vide » et qu’il s’agissait d’une « fausse affaire ».
Mercredi, son fils Mouadh et sa fille Soumaya ainsi que son gendre Rafik Abdessalem, qui fut ministre des Affaires étrangères, ont eux aussi été condamnés dans le cadre de cette affaire, respectivement à 35, 25 et 34 ans de prison.
M. Ghannouchi a par le passé été condamné pour « apologie du terrorisme » et « financement étranger illégal ».
Le président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), Zied Dabbar, a déclaré auprès de l’AFP un verdict « lourd et injuste » contre la journaliste Chadha Hadj Mbarek, qui « prouve que la magistrature est devenue une épée au-dessus de la tête des journalistes ».
Le parti Ennahdha a de son côté dans un communiqué fustigé un procès « politique ».
Ennahdha était la principale force au sein du Parlement lorsqu’il a été dissous par le président Kais Saied lorsqu’il s’est arrogé les pleins pouvoirs le 25 juillet 2021.
Depuis ce coup de force, l’opposition et des ONG tunisiennes et étrangères ont déploré une régression des droits et libertés en Tunisie. Le chef de l’Etat a été réélu à une écrasante majorité de plus de 90% des voix le 6 octobre, lors d’un examen marqué toutefois par une participation très faible (moins de 30%).
Dans un autre procès connu sous le nom d' »affaire du complot contre la sûreté de l’Etat », une quarantaine de personnes – parmi lesquelles des opposants au premier plan, des avocats et des hommes d’affaires – sont poursuivies. Très attendu, le procès doit s’ouvrir le 4 mars.
AFP