Ancien chef de corps du bataillon des Commandos de l’armée sénégalaise, le Lieutenant –colonel(cr) Elhadji Abbass Fall est diplômé de l’Académie royale militaire de Meknès, de l’École d’état-major Fort Leavenworth de l’armée américaine, et de l’École de guerre interarmées sud-africaine. Il analyse, dans cet entretien, ce nouvel épisode du conflit entre l’Iran et Israël.
Comment analysez-vous cette opération israélienne sur l’Iran commencée le 13 juin dernier ?
Israël est obnubilé par sa survie et sa liberté d’action dans une région où celles-ci sont menacées en interne comme en externe. À cet effet, le but stratégique d’Israël consiste à assurer une suprématie militaire incontestée en émasculant toutes les puissances et les groupes de menaces qui s’opposeraient à ce dessein pour les mêmes raisons. L’Iran doit disparaître en même temps que ses acteurs par procuration, notamment les Houthis au Yémen, le Hezbollah, les Chiites irakiens et certains États neutres comme Oman et le Qatar doivent être neutralisés davantage. C’est ainsi que le cadre temps de cette présente campagne peut être aisément délimité comme ayant débuté avec l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. Ce fut une occasion rêvée pour l’État hébreu de déclencher les opérations de façonnage de l’espace de bataille (shaping operations). Celles-ci ont revêtu d’abord la forme d’une riposte et de sauvetage d’otages, mais en réalité, une vraie opération d’annihilation du Hamas et de ses soutiens, en premier la population. L’autre phase de cette pré-opération a été la neutralisation du Hezbollah dont la décapitation de la structure de commandement et de contrôle a créé du mou sur le front libanais tout en détruisant un relai iranien aussi essentiel qu’efficace. Dans la même veine, l’effondrement de la Syrie a créé une aubaine pour Tel-Aviv qui ne s’est pas fait prier pour édenter son voisin après une semaine de destruction de l’essentiel de l’arsenal militaire. Et le Yémen, cet autre relais ? Israël et Trump s’y sont pris à deux pour obtenir les mêmes effets. Toutefois, la série d’actions la plus sérieuse pour Tsahal a été opérée en avril 2024 (assassinat d’un chef des Gardiens de la Révolution à l’ambassade d’Iran en Syrie, destruction de radars très performants dans la cadre du système de défense aérienne) et le 26 octobre avec la destruction de plusieurs cibles servant à la défense aérienne iranienne ainsi qu’à sa capacité de détection. Cette opération s’était fait avec l’appui d’alliés tout comme le contrôle des entrées et sorties de la Mer Rouge. Le « command and control » a été ciblé, mais il semble très probable que l’Iran ait mis en place des structures alternatives en mesure de continuer les opérations avec la même efficacité. L’attaque des cibles à haute valeur stratégique (high value targets) et celles à haut rendement (high pay-off targets) peuvent ne pas avoir été si payantes. Jusque-là, tout est normal dans le cadre de l’organisation de l’espace de bataille. Les opérations décisives sont celles qui ont débuté ce 13 juin 2025 avec les raids destinés à atteindre le but de guerre, à savoir empêcher l’Iran de conduire une opération militaire significative contre Israël et isoler les « proxies » et le Hamas tout en faisant une démonstration de supériorité à même de décourager toute autre force de la région comme la « Guerre des 6 Jours » l’avait obtenu avec beaucoup de pays arabes de la région (dissuasion).
Croyez-vous que l’Iran pourra tenir avec cette supériorité supposée de l’armée israélienne ?
Ce qui est intéressant dans cette opération décisive, c’est la confirmation de l’incertitude de la guerre ! L’Iran a été frappé là où Israël le voulait et là où il avait axé sa préparation. Cependant, comme nous aimons le dire dans nos milieux, on planifie sur la base de trois modes d’action ennemis et amis, mais au dernier moment, l’ennemi sort un quatrième mode d’action. L’Iran a été capable de préserver ses capacités critiques et même de mener des attaques qui ont surpris Israël et ses alliés. Au moment où nous parlons, les vagues de missiles perses continuent de s’abattre en Israël. Pour les experts de la défense, tout cela est normal et même prévisible. En considérant la portée de l’espace de bataille (scope), il apparaît au soir du 13 juin que les deux forces peuvent agir dans la profondeur ennemie (deep) avec une certaine réussite tandis que leurs zones arrières (rear) s’avèrent vulnérables.
Depuis l’attaque du 7 octobre 2023 menée par le Hamas, Israel est sur plusieurs fronts tant internes qu’externes avec la situation à Gaza, Sud Liban, le Yemen et aujourd’hui, l’Iran. Selon vous, l’armée israélienne pourrait-elle faire face à tout cela ?
En fait, si l’on considère la géographie, ce sont des fronts et, à priori, il existe un risque d’éparpillement de la force par Israël. Toutefois, si l’on va dans le fond, l’on peut accepter que ce soit un seul espace de bataille et qu’Israël ait joué sur les facteurs temps, espace et force afin de ne pas se retrouver simultanément sur plusieurs – disons- fronts. En réalité, Israël a échelonné dans le temps ses attaques contre Gaza, le Hezbollah, le Yémen, la Syrie et l’Iran. Ce facteur temps a été équilibré par le facteur force, car pour attaquer le Hamas, il s’est bien assuré que le rapport de force à Gaza lui est favorable. Pendant tout ce temps, aucune attaque d’envergure contre l’Iran n’a été opérée en dehors de quelques missiles lancés et ses actes de sabotage opérés. Il fallait attendre d’en finir avec la rallonge la plus dangereuse de l’Iran, le Hezbollah. À la suite, avec l’aide des États-Unis, le Yémen a été neutralisé d’une certaine façon. Si vous voyez que l’opération décisive a pu avoir lieu depuis ce 12 juin sans trop de soucis, à part la riposte de l’Iran et de manière très symbolique, des tirs de missiles du Yémen, c’est bien en raison de l’équilibre des facteurs par Israël. Quelle forme revêtirait la présente opération si le Hezbollah n’était pas décimé ? Si le Yémen n’était pas réduit ? Si le Hamas n’était pas dans la défensive ?
Propos recueillis par Oumar NDIAYE