Titulaire d’un PhD en Science politique de l’Université Laval, au Canada, Serigne Bamba Gaye est expert international indépendant et chargé de cours au Centre des Hautes études de Défense et de Sécurité (Cheds) en Relations internationales. Il revient,dans cet entretien, sur le retrait annoncé des États-Unis de l’Unesco.
Entretien réalisé par Oumar NDIAYE
Êtes-vous surpris de ce deuxième retrait des États-Unis de l’Unesco décidé par Donald Trump ?
Il faut rappeler que depuis l’arrivée du président Trump à la Maison-Blanche, au mois de janvier dernier, l’un des points forts de son programme est véritablement le retrait américain de la plupart d’organisations internationales ou des traités internationaux qui symbolisent le multilatéralisme. C’est dans ce cadre que les États-Unis ont quitté l’Organisation mondiale de la Santé, se sont retirés de l’Accord de Paris sur le réchauffement climatique. C’est également dans cette optique que le président Trump a démantelé l’Usaid. Autant d’institutions qui symbolisaient la place de l’Amérique dans le monde et son implication dans le multilatéralisme. Donc, aujourd’hui, le départ des États-Unis de l’Unesco n’est pas une surprise. C’est une confirmation de la volonté affichée par le président Trump deretirer son pays de la plupart d’organisations qu’il juge inutiles ou bien contraires à la politique étrangère des États-Unis. Et au demeurant, de pouvoirvéritablement marquer une étape dans les relations internationales pour montrer quel’Amérique s’engage désormais là seulement où elle peut avoir un bénéfice spécifique. Donc, elle n’est pas prête à être le support ou bien un acteur central du multilatéralisme.
Croyez-vous que le système multilatéral puisse tenir le coup avec ces agissements du président américain se matérialisant par des coupes budgétaires, des retraits de certaines institutions ?
Le multilatéralisme était en crise bienavant l’arrivée du président Trump. Il connaît, depuis plus de plusieurs décennies, une crise marquée par le fait que l’instrument principal symbolisant le multilatéralisme dans le monde, à savoir l’Onu, est de plus en plus affaibli. L’Onu ne parvient pas à s’impliquer, à s’imposer comme étant l’outil, l’instrument privilégié pour préserver et maintenir la paix et la sécurité mondiale. Cela ne date pas d’aujourd’hui, mais de plusieurs années. Il s’y ajoute que le fait qu’un des piliers du multilatéralisme —les États-Unis avec leprésident Trump— ait clairement affirmé que l’Organisation des Nations unies est inutile, budgétivore et ne répond pas aux intérêts majeurs de l’Amérique, marqueaussi un coup d’accélération dans le délitement du multilatéralisme. Par ailleurs, les organisations onusiennes, pour la plupart, étaient dépendantes du financement américain. Le retrait brutal des États-Unis de ces organisations va immanquablement affaiblir les Nations unies, le Secrétariat général, le Conseil de sécurité, mais aussi les agences onusiennes. Ce, dans un contexte mondial marqué par la récurrence des crises humanitaires, l’importance des questions du développement et les enjeux climatiques. Donc, le multilatéralisme vaassurément connaître une situation très difficile. Cela interpelle les Nations unies et les organisations multinationales pour diversifier leurs partenariats sur le plan financier, se renouveler elles-mêmes et in fine poser la question de la nécessité de réformer le système international, l’ordre international qui est né au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et qui était façonné par les États-Unis. Comme aujourd’hui, les États-Unis sont en croisade contre le multilatéralisme, cela doit être le moment idéal pour repenser le multilatéralisme, notamment l’Organisation des Nations unies et ses principales agences et institutions qui œuvrent àtravers le monde, dans des programmes particulièrement importants dans le domaine de la santé, de l’environnement,des droits humains, de l’éducation et de la culture.
Ce retrait américain de l’Unesco est le troisième en 40 ans. Pourquoi cette fixation américaine sur l’Unesco ?
Si on analyse véritablement les raisons évoquées par les États-Unis pour quitter l’Unesco à trois reprises, l’on se rendcompte que ce qui est reproché à cette organisation, c’est le fait que parmi toutes les agences onusiennes, elle est l’une des agences les plus inclusives. Elle a en son sein des pays qui ne sont pas formellement indépendants, tels que la Palestine. En même temps, c’est une organisation dont son mode de fonctionnement permet aux États du Sud d’être mieux écoutés et leurs préoccupations prises en compte. C’est uneorganisation qui n’est pas sous l’hégémonie américaine et s’est affranchie d’un certain nombre de règles pour pouvoir porter, de manière universelle, des questions comme la diversification de l’éducation, l’avènement d’un nouvel ordre international de l’information, les questions liées à une meilleure appropriation de la science à travers le monde… Dans cette organisation, les États-Unis se sentaient à l’étroit. Le fait qu’aussi l’Unesco ait, par la suite, accueilli la Palestine comme membre a courroucé les États-Unis. C’est ce qui explique, dans une certaine mesure, que les Américains, en particulier les républicains,se sont toujours braqués contre l’Unesco.Avec le premier mandat de Trump, les États-Unis considéraient que l’Unescon’avait pas d’importance pour eux. Aujourd’hui, l’argument avancé est lié à l’efficacité. Pour Donald Trump, l’Unescoet même les Nations unies de manière globale sont inutiles parce que ce sont des organisations qui ne produisent pas des résultats et où les États-Unis investissent et ne voient pas de retour. Nous sommes donc dans un continuum de dénigrement qui dure depuis bientôt 40 ans. Ce sont les États-Unis qui ont été à l’origine du départ d’Amadou Mahtar Mbow à la tête de l’Unesco, lorsque ce dernier, dans les années 80, avait mis sur pied le programme international pour le développement de la communication. C’était un programme très important, qui voulait véritablement démocratiser l’accès à l’information qui était entre les mains des grandes agences d’information, comme l’Afp, Ap, et d’autres organisations occidentales qui régentaientla circulation de l’information dans le monde. L’Unesco, à travers Amadou Mahtar Mbow, avait estimé que le moment était venu qu’il y ait un programme beaucoup plus inclusif pour développer la communication à l’échelle mondiale et permettre aux pays du Sud de pouvoir directement produire l’information, la gérer et que l’on ne tombe pas dans un biaisoccidental, tel que cela se faisait à travers les grandes agences de communication.Cela avait poussé les Américains à faire toute une campagne de dénigrement contre Amadou Makhtar Mbow pour aboutir à son départ. En conséquence, l’Unesco est une organisation qui a toujours dérangé les États-Unis.