Un des visages familiers de la chaîne d’information française Lci, le général François Chauvancy est consultant géopolitique dans ce média. Docteur en Sciences de l’information et de la communication et titulaire d’un diplôme de troisième cycle en Relations internationales, il a occupé, sur le plan opérationnel, des postes de commandement dans l’armée française et à l’Otan pendant plusieurs années.
Avec le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis et les déclarations du vice-président JD Vance affirmant que la Russie n’est pas la principale menace pour l’Europe, comment évaluez-vous l’impact de cette position sur la cohésion et la survie de l’Otan ?
L’Otan sera maintenue puisque sa mission principale est la défense de ses États membres. La défense du continent européen par cette alliance politico-militaire verra encore la participation des États-Unis qui ne peuvent pas se désengager pour plusieurs raisons. D’abord, le traité qui impose des délais pour quitter l’alliance. Ensuite, la défense d’un front utile pour les États-Unis. Si les États européens font l’effort de défense suffisant, et donc, crédible, ils sécurisent un espace géographique qui permet aux États-Unis de consacrer la plus grande partie de leurs moyens face aux menaces dans la zone indo-pacifique, peut-être le maintien d’un ensemble géopolitique occidental qui peut s’avérer crucial dans le futur.
Face à la menace de Donald Trump de stopper le financement américain à l’Ukraine, quelles pourraient être les conséquences pour la sécurité européenne et la capacité de l’Ukraine à résister à l’agression russe ?
L’arrêt du financement au profit de l’Ukraine impose à l’Union européenne et au Royaume-Uni de prendre en charge leur sécurité collective. Cela signifie plus de dépenses militaires avec un effet négatif sur leur économie pour ce qui est du domaine social et positif sur l’industrie d’armement en Europe. C’est aussi une plus grande autonomie à venir pour le futur, et donc, un affaiblissement du lien transatlantique. Concernant la capacité de l’Ukraine à résister, le besoin de négocier la fin de la guerre avec la Russie devient vital, car les États européens ne sont pas en mesure, aujourd’hui, de donner une aide militaire supplémentaire. En revanche, accorder une aide financière pour le fonctionnement de l’Ukraine reste possible, mais toujours au détriment des besoins des États européens.
Lors de la Conférence de Munich, JD Vance a remis en question l’engagement des États-Unis envers la défense européenne. Dans ce contexte, l’Europe devrait-elle accélérer la création d’une force de défense autonome pour garantir sa sécurité ?
La souveraineté d’un État s’appuie sur une capacité à se défendre seul. Dans le cas d’une alliance, il met à la disposition des capacités militaires s’il en possède. Au niveau stratégique et politique, l’Union européenne dispose d’un état-major de l’Ue à Bruxelles. Pour les opérations, elles sont alors mises sous l’autorité d’un état-major multinational. C’est pourquoi les États européens ont créé le Corps européen (Strasbourg) de niveau corps d’armée.
Compte tenu des critiques américaines sur la gestion européenne de la sécurité et des menaces internes, pensez-vous que l’Otan, sous sa forme actuelle, est encore viable ou l’Europe doit-elle envisager une refonte complète de son architecture de défense indépendante des États-Unis ?
L’Otan reste indispensable, mais l’Union européenne doit revoir son architecture de sécurité. Cela signifie identifier d’abord les vulnérabilités européennes dans le domaine de la souveraineté de l’Union européenne et les corriger (renseignements, communications, protection de l’espace aérien, des voies maritimes, y compris loin d’Europe …) ; accroître les budgets dédiés à la défense ; développer l’indépendance dans le domaine militaire (remplacer tous les composants américains des équipements militaires pour retirer le contrôle de leur emploi par les États-Unis par le biais de la loi Itar, acheter en priorité européen…). Il faut rendre crédible la force de réaction rapide de 5000 hommes de l’Union européenne telle qu’elle est prévue par la stratégie européenne de défense (ou « Boussole stratégique ») publiée en mars 2022; retirer les règles de l’Union européenne qui peuvent entraver le développement d’une défense européenne ; envisager le prépositionnement de forces militaires dans les zones sensibles de l’Union européenne, en l’occurrence face à l’est ; sensibiliser les opinions publiques européennes aux menaces et au besoin de l’effort de défense.
Propos recueillis par Oumar NDIAYE et Daouda DIOUF