La Türkiye tire parti de son dynamisme économique, de sa position géographique et de son histoire pour s’imposer comme un partenaire incontournable. En combinant initiatives économiques, culturelles et sécuritaires, elle gagne en influence tout en cultivant des alliances stratégiques. Elle est devenue un allié important du Sénégal.
Mener une initiative pour faire adopter l’orthographe « appropriée » pour le désigner renseigne dans une certaine mesure sur les ambitions d’un pays. Le 31 mai 2022, sur demande de la mission permanente deTürkiye, l’ONU adopte le nom local « Türkiye » en français et dans les autres langues officielles. C’est dire… Pont entre l’Orient et l’Occident, la Türkiye occupe une position stratégique. Elle est un carrefour entre l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient, contrôlant les détroits du Bosphore et des Dardanelles qui sont essentiels pour le commerce et l’accès militaire entre la mer Noire et la Méditerranée. Cette position lui confère une influence majeure dans les domaines énergétique, commercial et sécuritaire. Alexandre Adler (1950 – 2023), journaliste français spécialiste des questions internationales, a écrit que « la Türkiye n’est que la longue marche d’un peuple, de la lointaine Eurasie vers l’Occident ». Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine en février 2022, Moscou a bloqué les ports de la mer Noire et les exportations de céréales se sont effondrées, provoquant une crise mondiale de la sécurité alimentaire. En juillet 2022, les expéditions de céréales ont repris pendant un court répit, dans le cadre de l’initiative sur les céréales de la mer Noire, un accord conclu sous l’égide des Nations unies et de…la Türkiye.
Si son admission à l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord), dès 1952, en a fait un allié stratégique des États-Unis, , son chemin vers l’Union européenne reste toujours son objectif stratégique, malgré des décennies de pourparlers. En parallèle, Ankara n’a cessé d’affirmer son autonomie. L’achat des systèmes de défense russes S-400, à cause des restrictions, a illustré sa volonté de jouer selon ses propres règles suite à des injustices. Mais c’est surtout sur les terrains de conflit que la Türkiye s’impose comme un interlocuteur incontournable, ayant la deuxième plus grande armée de l’OTAN. Elle s’illustre par sa défense des Palestiniens depuis toujours. En Syrie, au Karabakh ou encore en Ukraine, elle œuvre tour à tour comme médiatrice ou protagoniste, façonnant les équilibres régionaux. La guerre en Ukraine, où ses drones Bayraktar ont acquis une réputation redoutable, a renforcé son image de faiseur de paix et a montré sa disposition d’industrie de défense très efficace . Sur le plan militaire, la Türkiye étend sa présence à travers le monde, avec des alliances stratégiques en Somalie, en Libye et au Qatar pour contribuer à la stabilité régionale. Mais cette puissance ne se limite pas qu’à l’aspect stratégique : l’industrie, l’éducation et les infrastructures maritimes témoignent d’un dynamisme économique qui renforce son poids international. Comment ce pays est-il parvenu à s’approprier une conscience historique propre à justifier ses ambitions ? Comme souvent, c’est au cinéma que l’on trouve les réponses à certains débats contemporains. La série « Rise of Empires : Ottoman », produite par Netflix, retrace la conquête spectaculaire de Constantinople par les Ottomans sous la conduite du sultan Mehmed II, surnommé « Mehmed le Conquérant ». Ce docu-fiction, aux airs de péplum, s’ouvre en 1451, lorsque Mehmed II, jeune souverain ambitieux, monte sur le trône ottoman. Déterminé à asseoir son pouvoir et à réaliser le rêve de ses prédécesseurs, il prépare une campagne audacieuse pour prendre Constantinople, la capitale de l’Empire byzantin, un bastion chrétien considéré comme imprenable. La série explore les manœuvres stratégiques et politiques qui ont permis à Mehmed de surmonter les obstacles, notamment la construction du gigantesque canon d’assaut, l’élaboration de plans militaires ingénieux, et l’utilisation de la diplomatie. Aujourd’hui encore, Mehmed II, surnommé « Fatih » (le Conquérant), est présenté comme un modèle de leadership ambitieux, stratège et modernisateur. Son image est souvent utilisée pour inspirer le patriotisme et incarner l’idée d’une Türkiye forte, capable de diriger au-delà de ses frontières. Ce film est au cœur d’une narration géopolitique actuelle.
Un partenaire solide
Dans le discours politique turc, la prise de Constantinople est parfois évoquée pour soutenir la vision d’une Türkiye contemporaine forte et influente. Le président Recep Tayyip Erdogan a ainsi régulièrement utilisé des références à cet événement pour ancrer des initiatives comme la transformation de l’ex-basilique Sainte-Sophie en mosquée en 2020 dans une continuité historique. En effet, jusqu’en 1918 avec la chute de l’Empire ottoman, la Türkiye était maître du pourtour méditerranéen, exception faite du sud de l’Europe et une partie des Balkans. Affaibli par des décennies de déclin et sa défaite lors de la Première Guerre mondiale, l’Empire ottoman est démantelé par le traité de Sèvres (1920). Face à cette division des territoires, Mustafa Kemal Atatürk organise une résistance qui aboutit à la guerre d’indépendance turque (1919-1923) et à la fondation de la République de Türkiye en 1923. Atatürk engage des réformes radicales, modernisant et sécularisant le pays, tout en consolidant un nationalisme turc. Durant la guerre froide, la Türkiye devient un bastion stratégique pour l’Otan. Depuis les années 2000, sous Recep Tayyip Erdogan, la Türkiye combine croissance économique et repositionnement géopolitique, s’affirmant comme une puissance régionale incontournable.
Depuis l’ouverture de son ambassade à Dakar en 1962, ce pays a joué un rôle pionnier en Afrique de l’Ouest, en établissant l’un de ses premiers postes diplomatiques sur le continent. Cette initiative a marqué le début d’une relation bilatérale durable, renforcée par l’inauguration de l’ambassade du Sénégal à Ankara en 2006, qui a institutionnalisé la représentation mutuelle. Ces dernières années, les relations turco-sénégalaises ont connu un essor significatif, portées par une coopération accrue dans les domaines économique et commercial, aide au développement, échanges culturels, éducation, etc.. La Türkiye s’impose comme un acteur influent grâce à une stratégie de soft power, qui repose entre autre sur la diffusion de ses séries télévisées à succès, devenues des phénomènes culturels en Afrique. Par ailleurs, l’agence turque de coopération et de coordination (Tika) joue un rôle clé dans l’aide au développement, multipliant les projets dans les infrastructures, la santé et l’éducation au Sénégal et au-delà. Cette diplomatie culturelle et humanitaire avec des initiatives qui renforcent les liens entre la Türkiye, l’Afrique et l’Asie centrale. Cette stratégie d’engagement, associée à des intérêts économiques et géopolitiques, fait du partenariat turco-sénégalais un modèle de coopération Sud-Sud en pleine croissance .
Samboudian KAMARA