Entre alertes et bombardements, la vie des Ukrainiens vacille entre la peur et l’incertitude. Toutefois, ils restent résilients dans un univers en guerre.
C’est devenu une habitude. Un rite. Chaque jour, sur l’ensemble du territoire ukrainien, la vie s’arrête à 9 h, heure locale, pendant une minute. Personnes, activités, véhicules… tout prend une pause, le temps de marquer sa solidarité face à la guerre qui affecte le pays depuis février 2022.
Le seul bruit audible est celui de l’hymne national : Chtche ne vmerla Ukraïny i slava, i volia, ce qui signifie littéralement : « L’Ukraine n’est pas encore morte, ni sa gloire, ni sa liberté. » L’Ukraine a pris son indépendance en 1991, à la suite de l’éclatement de l’Union des républiques socialistes soviétiques (Urss). Un officiel ukrainien, après la minute de silence, explique : «L’hymne est un chant patriotique qui exprime la fierté et la détermination du peuple ukrainien à préserver son indépendance et sa liberté. » C’est donc un symbole important de l’identité nationale.
Depuis février 2022, Moscou mène une guerre contre Kiev. La Russie occupe une bonne partie de l’est de l’Ukraine. Pour s’adapter à cette vie rythmée par l’incertitude et la peur, les Ukrainiens ont mis en place des applications qui informent en temps réel des attaques, afin de pouvoir se rendre au bunker et espérer sauver leur vie. Il y a aussi un système d’alerte étatique diffusé par des haut-parleurs installés un peu partout. Le premier conseil donné à tout visiteur est l’installation d’une application d’alerte et le strict respect des consignes de sécurité.
Bunker
À deux reprises, la délégation de journalistes africains a été contrainte de se rendre dans un bunker à la suite d’alertes de bombardement.
La première fois, c’était lors de la visite de l’entreprise Superhumans à Lviv. Après une alerte émise par haut-parleur, direction le bunker. Celui-ci contient des provisions en eau et en nourriture, des bancs, des fauteuils et des couchettes permettant de tenir quelques jours. Ce n’est qu’après une seconde alerte que les journalistes ont pu ressortir. La deuxième alerte a eu lieu en pleine nuit, vers 3 h du matin, à l’hôtel. Elle a été transmise via les applications. En quelques minutes, une bonne partie des occupants descend dans le bunker.
Certains en pyjama, d’autres en tenue légère, d’autres encore déjà habillés. Une dernière alerte annonce la fin du danger. Enfin, les gens peuvent sortir de leurs abris. Les alertes rythment la vie des Ukrainiens. Chaque fois que l’alarme retentit, ils doivent se réfugier et attendre un second signal pour sortir. Certes, ces alertes sont devenues une routine, mais les négliger peut être fatal.
Très fatal même. C’est ce qui s’est produit dans la banlieue de Kiev dans la nuit du 16 au 17 juin dernier. Un missile a dévasté un quartier résidentiel. Cinq jours plus tard, lors de notre passage, l’endroit portait encore les stigmates de l’attaque. Le cœur de la cible : un immeuble d’une dizaine d’étages, long d’une centaine de mètres. À son centre, il est littéralement fendu en deux. La faille, causée par le missile, mesure une trentaine de mètres. Elle s’étend du dernier étage au rez-de-chaussée. Les débris ont été évacués. Le bilan : 28 morts, plusieurs blessés et d’importants dégâts matériels.
Dans un rayon de 500 mètres, presque toutes les portes et fenêtres des immeubles voisins ont été soufflées. Certains propriétaires vident ce qui reste de leurs appartements, aidés par des secouristes et des volontaires, car beaucoup ne tiennent plus.
Roseau
Le spectacle est désolant. Tout est sens dessus dessous. Les arbres sont brûlés. Des équipes de secours, appuyées par des volontaires, s’activent inlassablement pour refermer les portes et fenêtres avec du contreplaqué doublé de toile plastique. Déterminés et résilients, ils réparent ce qui peut encore l’être.
Les dégâts sont incommensurables. De l’autre côté de la vaste avenue, en plus des vitres et des portes soufflées, la toiture d’un immeuble est partiellement arrachée, laissant voir la charpente. Au centre-ville, non loin du siège du ministère des Affaires étrangères, sur la place Mykhailivska, une exposition d’engins militaires russes — chars, tankers, missiles détruits — est présentée comme des trophées de guerre. L’exposition, intitulée Freedom (Liberté), vise à stimuler le patriotisme des Ukrainiens. Un réconfort, après tant de pertes.
Non loin de là, la troupe de l’Académie diplomatique donne un concert de soutien. Des sourires. Des applaudissements. Des larmes. Des regrets. Des émotions mêlées. En cette fin de semaine à Kiev, pendant près d’une heure, la troupe tente d’apporter un peu de joie et de réconfort au cœur des Kieviens meurtris par trois années de guerre. D’ailleurs, dans les rues de la ville, on croise davantage de personnes âgées. Comme l’a dit Pablo Casals : «La musique chasse la haine chez ceux qui sont sans amour. Elle donne la paix à ceux qui sont sans repos, elle console ceux qui pleurent. » C’est le ministre des Affaires étrangères, Andrii Sybiga, qui a ouvert le concert de solidarité, tout en réaffirmant la position de son pays depuis le début du conflit.
S’adressant à la délégation de journalistes africains en visite à Kiev, il déclare que l’Ukraine continuera de se battre et qu’aucune partie de son territoire n’est négociable. « L’Ukraine est comme un roseau : elle peut plier, mais elle ne rompra jamais ».
Par Aly DIOUF (Envoyé spécial en Ukraine, Pologne et République Tchèque