«Ce que révèle ce rapport, c’est une bamboula ! » tonne une célèbre chroniqueuse d’une chaîne de télévision privée. Elle commentait les résultats du rapport de la Cour des comptes, publié le mercredi 12 février 2025, qui met en lumière la mauvaise gestion étatique pour la période allant de 2019 au 31 mars 2024.
Si, dès le lendemain, le jeudi 13 février, les journaux ont titré sobrement – à l’image du Soleil, qui a préféré évoquer « Le rapport des anomalies et des irrégularités » –, certains excès de langage lus et entendus ces dernières années, notamment sur les conclusions d’audits de gestions de biens publics, persistent encore. On n’est pas si loin de l’époque où des titres comme « Bamboula dans telle instance » ou « Bamboula dans tel ministère » barraient la une des journaux et alimentaient un discours regrettable. Ce langage était repris avec emphase par ceux qui faisaient de la criée une tribune à leurs convictions – pour ne pas dire leurs intérêts – , rappelant ainsi les crieurs de journaux à l’âge d’or de la presse, notamment dans l’entre-deux-guerres en Europe.
Origine guinéenne Le mot « bamboula » a connu plusieurs évolutions sémantiques depuis son apparition en Europe au XVIIe siècle. À l’origine, en Guinée, il désignait un tambour utilisé lors des danses et cérémonies traditionnelles. Le ka-mombulon ou kam-bumbulu était un instrument accompagnant danses et rituels. Par migrations, mutations et extensions de sens, le mot, devenu kamboula (attesté en 1685), puis bamboula (attesté en Assinie, actuelle Côte d’Ivoire, en 1714), en vient à désigner une danse perçue comme « violente et primitive ». Dès son adoption en Europe, il est ainsi chargé de connotations négatives.
Au XIXe siècle, les observateurs occidentaux renforcent ces stéréotypes en associant le mot à une forme de sauvagerie attribuée aux populations africaines. En France, le terme est utilisé de manière stéréotypée et raciste pour désigner les coutumes ou les personnes d’origine africaine, notamment dans des contextes coloniaux. D’abord associé à des danses exubérantes perçues comme excessives et transgressives, il évolue ensuite pour désigner de manière caricaturale un domestique noir obéissant et comique, notamment dans la littérature et le théâtre colonial. À la fin du XIXe siècle, il devient une insulte raciste, comme en témoigne son usage contre Alexandre Dumas lors des élections législatives de 1848.
Dumas insulté Petit-fils de l’esclave noire Cessette Dumas, Alexandre Dumas était, selon la classification coloniale et raciale de l’époque, un « quarteron », c’est-à-dire issu d’une union entre un mulâtre et une blanche. Ce seul quart de sang noir a suffi à le reléguer dans la classe méprisée des « nègres ». Son statut, combiné à son échec aux élections, fut marqué du sceau du racisme. Comme le révèlent les procès-verbaux des réunions publiques exhumés en 1902 par le journaliste Félix Duquesnel, Dumas y fut traité de « mal blanchi », « faux nègre » et « bamboula ». Des insultes racistes qui n’avaient rien à voir avec sa pseudo-incompétence en politique. Durant le XXe siècle, l’utilisation péjorative du mot envers les Noirs s’est intensifiée avec la colonisation.
Plus surprenant encore, un phénomène de mimétisme s’est développé, dont l’explication reste complexe. Depuis quelques décennies, il n’est pas rare d’entendre des Sénégalais, Africains et autres Noirs reprendre cette expression, qui, sous couvert de maladresse, conserve pourtant une charge raciste indéniable. L’évolution du mot « bamboula », d’un terme neutre ancré dans une culture musicale et festive, montre comment il a été progressivement détourné par le regard colonial pour servir des représentations stigmatisantes. Aujourd’hui, son usage dans certains contextes est perçu comme offensant et témoigne de la persistance de réflexes de langage hérités de l’histoire coloniale et raciste occidentale. Son utilisation par certaines figures de l’espace public dont l’apport au débat ne dépasse pas la hauteur d’une table basse interroge et blesse. .
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