Il y a des choix qui se calculent et d’autres qui s’imposent d’eux-mêmes. Celui de Mamadou Sarr et d’Ibrahima Mbaye appartient à la seconde catégorie.
Dans un football mondialisé, où l’identité sportive se négocie comme un transfert, ces deux jeunes talents ont choisi le Sénégal sans détour ni calcul. À une époque où beaucoup de binationaux attendent le coup de fil des Bleus – ou d’autres grandes Nations– avant de se souvenir de leurs racines, leur décision a quelque chose de fort et de sincère.
Pour Mamadou Sarr (20 ans), le choix semblait presque écrit d’avance. Fils de Pape Sarr, membre de la génération dorée de 2002, il a grandi bercé par les récits de Séoul, les exploits d’El Hadj Diouf et les drapeaux vert jaune rouge flottant lors du fameux 31 mai 2002, quand le Sénégal faisait tomber la France en match d’ouverture du Mondial. Son père a porté le maillot national avec fierté, le fils en prolonge le symbole avec naturel. Défenseur du Racing Club de Strasbourg, déjà considéré comme l’un des plus prometteurs de sa génération, Mamadou n’a pas eu besoin de longues réflexions : il sait d’où il vient et ce que ce maillot représente. Pour lui, ce n’est pas un choix de carrière, mais une histoire de filiation et de fidélité.
La vraie surprise, c’est Ibrahima Mbaye. À seulement 17 ans, l’ailier du Paris Saint-Germain était promis à l’équipe de France. Dans les couloirs du Camp des Loges, on le voyait déjà comme un futur cadre des Espoirs. Pourtant, au moment décisif, il a dit oui au Sénégal. Un geste fort, à contre-courant d’une logique médiatique où la raison prime souvent sur le cœur. Là où d’autres attendent que les portes des grandes sélections se ferment, Mbaye a pris les devants. Il a choisi tôt, sincèrement et sans condition. Ce choix, symboliquement, pèse lourd. Il montre que le Sénégal n’est plus un plan B. Intégrer la Tanière, c’est rejoindre une équipe championne d’Afrique, respectée, structurée, avec un encadrement solide et une vision claire.
De Sadio Mané à Kalidou Koulibaly, les modèles existent. L’équipe nationale attire désormais par son sérieux autant que par son prestige. On ne vient plus « rendre service au pays » : on s’y engage pleinement. Mais, tous les parcours ne traduisent pas la même sincérité. Certains se sont déjà servis du Sénégal comme tremplin avant de tourner le dos à la Tanière. Le cas de Boubacar Kamara (5 sélections) en est l’illustration. Le joueur d’Aston Villa a longtemps fait miroiter son intérêt pour les Lions avant d’accepter la première convocation de Didier Deschamps. Le sélectionneur français nie vouloir « bloquer » des binationaux, mais Kamara -26 ans, zappé par Didier Deschamps depuis le 18 novembre 2023- ne pourra plus changer de nationalité sportive.
Même scénario pour Malick Thiaw qui a longtemps entretenu l’espoir des supporters sénégalais avant d’opter pour l’Allemagne. C’est pourquoi la démarche d’un Ibrahima Mbaye ou d’un Mamadou Sarr mérite d’être saluée. Derrière ces décisions, il y a une éducation, une identité assumée. Comme le résume le sélectionneur Pape Thiaw : « Quand le choix vient du cœur, c’est plus facile de convaincre un joueur ». Cette nouvelle génération est de plus en plus consciente de la valeur du drapeau. Yehvann Diouf, gardien de l’Ogc Nice et fils de l’ancien lutteur Alioune Diouf, en est un autre exemple. Né et formé en France, il aurait pu attendre les Bleus. Il a préféré répondre à l’appel du Sénégal. Ces choix traduisent une tendance profonde : celle d’une jeunesse métissée, à l’aise avec ses identités multiples, mais décidée à revendiquer ses racines africaines. Dans un monde où l’identité devient un terrain d’ambiguïtés, ces joueurs rappellent que le sentiment d’appartenance n’a pas de passeport.
Le football sénégalais change peu à peu de visage : infrastructures modernisées, formation améliorée, encadrement professionnel. Le Sénégal est devenu une destination respectée, un modèle de stabilité et d’ambition. Désormais, on ne vient plus « faire plaisir au pays », mais prendre part à un projet collectif. Ces binationaux qui disent oui au Sénégal ne sont pas seulement des recrues sportives : ils incarnent une reconquête identitaire. Une reconquête par la fierté, par le choix, par l’attachement à une histoire commune. Et si, demain, la Tanière continue d’attirer ces talents venus d’ailleurs, ce ne sera pas faute d’opportunités, mais parce qu’ils auront compris désormais que porter le maillot du Sénégal, c’est bien plus qu’un match. C’est un héritage, une mission et une fierté.
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