Il y a des images qui s’incrustent dans la mémoire collective comme des éclairs de cauchemar. Deux camions lancés à pleine vitesse sur la route nationale, s’adonnant à une course-poursuite surréaliste à hauteur de Thiaroye. La scène aurait pu sortir tout droit d’un film d’action. Elle s’est malheureusement déroulée sur nos routes réelles, avec des vies en jeu. Le verdict est tombé : trois ans de prison ferme pour le chauffeur fautif, un million de FCfa d’amende, permis annulé pour cinq ans. Son « rival », lui, écope de six mois ferme et d’une suspension de permis.
Peines exemplaires ? Sans doute. Mais à quoi servent les peines lourdes si elles n’ont aucun effet sur la conscience collective ? Si, dans les jours qui suivent, d’autres chauffards, d’autres fous du volant, prennent le relais dans cette course macabre qui transforme nos routes en abattoirs à ciel ouvert ?
Thiaroye n’est qu’un énième chapitre du long livre noir de la route sénégalaise. Sakal, Sékoulo, Khombole : autant de noms devenus tristement célèbres, synonymes de larmes, de drames, d’orphelins. Et pendant ce temps, les mêmes causes produisent les mêmes effets : excès de vitesse, surcharge, défaillance mécanique, fatigue des conducteurs, corruption dans les services de contrôle et une impunité rampante.
Ce n’est pourtant pas l’indifférence qui manque au sommet de l’État. Chaque président, chaque ministre des Transports, chaque directeur de la Sécurité routière a promis, juré, menacé. Mais que vaut un discours si les pratiques restent les mêmes ? Que vaut une répression aveugle si elle ne produit ni peur, ni remords, ni changement ? Il est temps de penser autrement. Il est temps de sortir du piège carcéral. Non, tous les chauffards ne doivent pas finir en cellule. La prison ne résout rien quand elle est systématisée. Pire, elle devient une fabrique de récidives, un gouffre financier pour l’État et un repoussoir à la réinsertion.
Au Burkina Faso, les autorités ont choisi une autre voie. Là-bas, un motocycliste pris en flagrant délit ne se retrouve pas forcément entre quatre murs. Il est envoyé balayer les rues, poser des pavés, nettoyer les caniveaux. Pas de longs procès, pas de sermons. Juste un travail d’intérêt général. Simple, direct, utile. Et surtout : transformateur.
Quand un chauffard nettoie les déchets qu’il a contribué à générer, il comprend. Quand il sue pour réparer un tort, il réfléchit. Et quand il rentre chez lui après une journée de pénitence physique, il devient un relais de conscience. Ces peines alternatives ne visent pas à humilier, mais à responsabiliser. Et elles coûtent moins cher que la détention.
Au Sénégal, nous préférons remplir les prisons. Et avec elles, les dépenses publiques. Chaque détenu, coupable ou non, coûte à l’État en nourriture, en soins, en surveillance. Pendant ce temps, les routes se vident de leurs promesses de mobilité pour ne garder que le goût du sang.
Il faut réformer. Il faut oser. Il faut toucher les poches, les muscles, la fierté des contrevenants. Les amendes doivent être dissuasives, proportionnées aux revenus.
Les fautifs doivent servir d’exemples vivants. Pourquoi ne pas les envoyer repeindre les passages piétons, réparer les glissières de sécurité, assister les blessés dans les centres de soins ? Pourquoi ne pas les faire participer à des campagnes de sensibilisation, devant des jeunes, dans les gares, sur les ondes ?
La peur de la prison ne suffit plus. L’heure est venue d’un électrochoc. Celui d’une justice réparatrice, visible, tangible. Il ne s’agit pas de lâcher du lest, mais d’exiger un retour à la responsabilité citoyenne.
Il faut remettre de l’ordre sur nos routes. Pas seulement par la répression, mais par l’intelligence. Ce ne sont pas seulement des camions qui s’affrontent en duel, ce sont des vies qui se percutent, des familles qui se brisent, un pays qui tangue à chaque carambolage. Alors oui, changeons de braquet. Il y a urgence. Avant que la route ne soit plus qu’un cimetière sans fin.
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