Sur ces colonnes, nous avons été toujours convaincus de la nécessité de préserver notre outil d’intégration qu’est la Cedeao. Est-il besoin de rappeler qu’elle est l’une des meilleures sinon la meilleure communauté économique régionale en Afrique ? Elle est à 15 % de commerce intra régional (au-dessus de beaucoup d’autres organisations régionales), une libre circulation effective des personnes, un attrait économique certain.
La Cedeao coche presque à toutes les cases de la théorie du chercheur hongrois Béla Balassa, le penseur le plus cité dans les études liées à l’intégration économique et politique. Ce dernier classifie les processus d’intégration par étape qui commencent par la communauté économique, l’union douanière et la monnaie. Il ne manque à la Cedeao que cette dernière étape de la monnaie unique pour qu’elle soit au niveau de structures d’intégration les plus abouties comme l’Union européenne. Ironie du sort, ce sont des pays qui se réclament du nationalisme et d’un souverainisme qui ont amené ce schisme au sein de la structure d’intégration qu’est la Cedeao. Dans cette communauté régionale ouest africaine, les différences ont été toujours confinées dans les divergences linguistiques. Aujourd’hui, les points de cassure se sont étendus aux aires géographiques et aux régimes politiques. Nous sommes passés d’anglophones vs francophones et aussi lusophones à États côtiers contre pays de l’hinterland, démocraties face aux autocraties. Ces cassures risquent de s’accentuer pour nous donner une fracture très salée à payer par beaucoup de pays de la région.
La semaine dernière a montré que le processus de désintégration a posé une autre étape avec l’envoi de courrier entre la commission de la Cedeao et le Mali pour fixer les réunions devant aboutir au départ de Bamako de l’organisation. Le processus semble être ainsi irréversible, d’autant plus qu’un des médiateurs, le Togo, semble danser des deux pieds entre les pays de la Cedeao et l’Aes, portant ainsi une estocade dans la désescalade qui était souhaitée. « Demandez aux populations togolaises si le Togo veut entrer dans l’Aes, vous allez voir leur réponse. Je vous dirais qu’elles vous diront oui », a affirmé, dans la même semaine, le ministre togolais des Affaires étrangères Robert Dussey.
Derrière ces postures ambivalentes et troublantes du Togo qui semblent montrer une cassure dans la dynamique de médiation, se jouent les prolongations de la compétition qui a rythmé l’économie maritime en Afrique de l’Ouest entre les ports de Dakar, d’Abidjan, de Cotonou et de Lomé. Situés sur la façade maritime, ces ports servent de point d’ancrage pour les pays de l’hinterland ouest-africain. Le port de Dakar joue ce rôle pour le Mali, celui d’Abidjan pour le Burkina et Cotonou pour le Niger, relevant ainsi les factures des importations de ces pays et une importante rentrée de devises pour les pays côtiers concernés.
À cela vient s’ajouter l’Initiative atlantique du Maroc de servir de pays d’ouverture des pays sahéliens vers l’Atlantique qui va alourdir cette fracture. Avec ses grands hubs maritimes comme Tanger Med, parmi les plus grands de ce monde, le Maroc, très en avance dans cette compétition maritime, a ainsi saisi, avec cette brouille, l’opportunité d’accroître son potentiel dans ce domaine et aussi, dans le même temps, développer l’activité de ses ports secondaires situés dans les provinces du sud comme Layoune et Dakhla. Tout en espérant que l’implication du nouveau président du Ghana, John Dramani Mahama, qui, lors de sa prestation de serment, a reçu, parmi les invités, le capitaine Ibrahim Traoré, chef de la junte du Burkina Faso, et le Premier ministre malien Abdoulaye Maïga, aidera à ce que la cassure et la fracture en Afrique de l’Ouest soient évitées.
Réanimer l’espoir de 1975 (Par Samboudian KAMARA)