Sorti le 6 juin dernier sur Netflix, « À Bout » (Straw) est un thriller d’une remarquable intensité. En moins d’une semaine, le film est No1 sur la plateforme, et défraie les chroniques sur les réseaux sociaux et médias du monde. Avec beaucoup d’émotion.
Cette fiction tournée en seulement quatre jours raconte l’histoire de Janiyah, une maman célibataire désemparée, seule au soin de sa fillette maladive. Elle cumule deux emplois, sans arriver à bien alimenter sa fille et la soigner. Oppressée, elle finit par perdre son boulot, son sang-froid, sa liberté, et définitivement la garde de son enfant. Elle craque, dépressive et dans le déni, face à un environnement hostile et trop peu empathique. L’histoire est commune aux nôtres et à nos faits divers. C’est bien pour ça que ce film a vite atteint les cœurs et les émotivités. À des degrés plus ou moins spectaculaires, tous vivent cet acculement. Surtout les femmes, noires particulièrement.
En écrivant le scénario, le réalisateur Tyler Perry n’avait pas exclusivement l’intention d’un propos féministe. La cause se voulait afrodescendante, mais le féminisme s’est imposé. Dans une esthétique léchée, « Straw » (titre original du film) aborde la monoparentalité et la sororité avec gravité. Il y a le papa célibataire, mais la différence avec la maman solo est que celle-là ne semble subir que des exigences. La pression familiale et sociale est plus oppressante. Ses jours sont rythmés de combats et d’angoisses, animés par la peur de l’échec. Sa vie amoureuse sonne souvent peu heureuse, avec des aspérités, ou est au moins considérée avec désobligeance. Être simplement mère est déjà une bataille. Sans équilibre familial et un soutien intime considérable, le chaos menace. Être maman solo est une lutte sur une autre. Le Sommet international sur la Maman Solo qui sera reçu à Dakar du 4 au 6 novembre 2025 sera peut-être l’occasion de mieux se sensibiliser sur la question. Dans le film, Janiyah se rappelle l’accouchement de sa fille ; ce moment à l’hôpital où elle a senti quelque chose se briser en elle. Janiyah regrette que le personnel médical ne soit pas compatissant.
C’est un beau langage au cinéma pour parler de la société devenue malveillante, si on conçoit que c’est le lieu de soins par excellence qui accable l’humain plus qu’il ne le soulage. Ce dédain est visible dans la couverture médiatique plus prédatrice qu’informative, dans le vrai faux braquage de banque qui embourbe Janiyah. Ce clin d’œil aux médias indique comment le principe marchand prend le pas sur les fondamentaux éthiques et déontologiques. Le film montre surtout comment l’interprétation abusive et le regard voyeur déforment la vérité pour créer des malentendus bouleversant sombrement des destins. La logique n’est pas la vérité, même si les chroniqueurs intempestifs sur nos plateaux Tv font croire le contraire. Quant à la sororité, elle est évoquée dans une mise en scène également recherchée.
Dans la banque, le réalisateur réunit cinq Afro-américaines d’âges et de conditions différents. Entre celles que tout éloigne en apparence, en plein chaos, elles se découvrent de la sympathie et de la solidarité au fil des heures. La sororité, c’est regarder une autre femme et choisir de ne pas la juger et non la soutenir. C’est créer des espaces où chacune peut être authentique, en sécurité, écoutée et respectée. Même la guichetière Tessa, qui se dérobe au principe pour n’en avoir pas visiblement assez bavé dans la vie, n’est pas houspillée. La Lieutenante Raymonde, bien que hors du bloc, a été plus que présente dans ce cercle d’union sororale. De sa position, elle a protégé sa base et plus largement sa communauté, notamment par son attitude contre le Lieutenant Oliver (qui peut être vu comme une caricature de Derek Chauvin, bourreau de Georges Floyd).
Au-delà de toutes ces images, « À Bout » est une ode à la maternité. Janiyah, incarnée par une incroyable Taraji P. Henson (55 ans) qui a puisé dans son tréfonds pour interpréter le personnage, n’a eu pour seul leitmotiv que sa fille. Même en pleine hallucination, tuée deux fois par un système qui a emporté son âme et son espoir pour ne lui laisser qu’un corps absurde, elle s’est crânement accrochée à l’amour maternel. Même la scène avec le Sdf concourt à cette posture maternelle. Montrant une grande vertu et une courageuse constance, Janiyah ne s’est fixée que sur son dû, avec les « 40 dollars de la cantine ». Se détournant vaillamment de la concupiscence et gardant son humanisme en dépit des épreuves, son sacrifice n’aura pas été vain. L’acclamation des bonnes gens au pied des escaliers d’Escher est un merveilleux hommage. À Janiyah, et à toutes ces braves battantes anonymes. « À Bout » est un film à voir ! mamadououmar.kamara@lesoleil.sn