C’est une sourde colère qui gronde. Elle est profonde et palpable dans les messages vocaux reçus depuis mi-juillet, visible dans les visages tendus sur les photos et vidéos. Elle est celle d’hommes et de femmes qui, pour quelques grammes d’or, risquent chaque jour leur vie dans les entrailles de la terre et qui, en retour, se sentent écrasés par une multinationale étrangère semblant jouir d’un pouvoir sans limite.
À Kharakhéna, les sourires des orpailleurs ont pris la couleur de l’or qu’ils traquent désespérément dans les failles rocheuses : jaune. Mais surtout jaune comme cette amertume qui leur tord les lèvres. Ils rient jaune – si l’on peut encore appeler cela un rire – devant ce qu’ils vivent comme une injustice : dans leur propre pays, leur activité se voit restreinte au profit d’un « étranger » : la société minière Afrigold, perçue comme intouchable.
Le 9 juillet dernier, vingt-trois personnes – dont le chef du village – ont été arrêtées par la gendarmerie de Saraya. Elles sont poursuivies pour exploitation illicite de substances minérales et association de malfaiteurs, à la suite d’une plainte déposée par cette compagnie minière. Leur faute : avoir exploité une partie des 500 hectares attribués à l’entreprise. Une semaine plus tard, le tribunal de Kédougou les condamnait à deux mois de prison avec sursis et leur ordonnait de libérer les espaces occupés.
L’affaire de Kharakhéna met en lumière la fragilité du modèle de gestion minière dans cette partie du pays, où cohabitent difficilement exploitation industrielle et orpaillage artisanal. Sur le papier, les deux activités devraient se compléter : l’industrie apporte investissements, infrastructures et capacité d’extraction à grande échelle, tandis que l’artisanat maintient des emplois locaux et un savoir-faire traditionnel. Hélas, dans les faits, la compétition pour l’accès aux ressources provoque tensions et conflits récurrents.
Ici, Afrigold détient un permis légal sur 500 hectares, mais peine à faire fonctionner son usine, pourtant prévue pour industrialiser la production. En parallèle, elle loue du matériel pour exploiter de manière semi-mécanisée – pour ne pas dire artisanale – et emploie des orpailleurs étrangers. Ce qui est en violation des termes du permis d’exploitation pour or et substances connexes dont elle a bénéficié par décret n° 2016-186 du 02 février 2016. Voilà ce qui nourrit le sentiment d’injustice et de dépossession chez les orpailleurs sénégalais. Ces derniers, privés de zones riches en or, voient leur activité se réduire à de longues journées d’efforts pour des résultats dérisoires.
La question dépasse le simple cadre économique : elle touche à la souveraineté sur les ressources naturelles. Aux yeux des habitants, céder de vastes surfaces à une entreprise étrangère, incapable de tenir ses promesses industrielles et qui fait dans l’artisanal pour renflouer ses caisses, tout en restreignant l’accès aux populations locales, revient à affaiblir la légitimité de l’État. Le retard dans la validation d’un nouveau couloir d’orpaillage alimente l’impression d’un déséquilibre de pouvoir en faveur de l’opérateur privé.
Enfin, le contexte démographique amplifie la crise : en vingt-cinq ans, Kharakhéna est passée de hameau à agglomération de plus de 30.000 habitants, en grande partie grâce à la ruée vers l’or. La raréfaction du métal jaune et l’absence de solution rapide risquent de transformer ce pôle d’attraction en foyer de chômage et de tensions sociales.
Dans un pays où les zones minières sont souvent à la fois isolées et économiquement dépendantes d’un seul secteur, une telle situation pourrait dégénérer et menacer la paix locale, d’autant plus que l’insécurité a atteint des sommets ces dernières semaines au Mali voisin, dont les ressortissants sont très nombreux à Kharakhéna. Toujours est-il qu’il y a de quoi se pencher sur ce conflit qui a trop duré entre les orpailleurs et Afrigold, au moment où le gouvernement, à travers la Somisen, a largement souligné sa volonté de remettre de l’ordre dans le secteur de l’orpaillage par la mise en place d’un Comptoir national de commercialisation de ce métal précieux, dont les sorties frauduleuses du territoire national ont atteint 1 .500 milliards de FCfa sur la période 2013-2022.
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