Rangeant les affaires de son père qu’il a toujours détesté, un jeune homme qui se voulait en tout temps observer avec une rigueur fanatique les préceptes de sa religion, tombe sur une information qui le renverse lui, sa bile et son cerveau.
Sur une lettre qui a fini de gagner sa couleur sépia, le gus lit que sa mère a été fille de joie dans une autre vie, et que son papa honni l’a convertie en dame honorable, sociable et gracieuse. Pourtant, le désobligeant dévot avait banni son père parce qu’il était alcoolique, et divinisait sa maman qui n’était presque jamais sans le voile et le chapelet. Qu’irons-nous trouver dans le waxandé (la malle) de la famille ou les placards du fameux bahut dans la chambre des parents ?
Les archives domestiques sont un trésor insoupçonné d’histoires, de drames tus et de victoires négligées par le temps. Souventes fois, quand elles sont dépoussiérées, ces archives ne racontent non pas que les annales familiales ou de banals faits des quotidiens passés. Elles ont cette magie de reformer ou refonder les identités. Elles bouleversent la biographie de la famille. Soit pour mieux la conforter dans sa saga, soit pour bonnement déchirer le tissu intime caractérisant le lien de tout un clan. L’exploration du secret familial remet à jour le passé et redéfinit l’actualité. L’affirmation de soi et le rejet de soi jouent quasiment leur va-tout. La nouvelle génération tombant sur ces documents s’en rééduque.
Les « enfants » se retrouvent ainsi devant des souvenirs d’évènements auxquels ils n’ont pas assisté, mais que leurs âmes ont vécus partiellement. Des évènements d’ailleurs déterminants dans une part de leur existence et de leur condition humaine.
C’est un(e) mémoire qui entraîne résolument le découvreur ou la découvreuse dans l’univers qui a formé son imaginaire, l’ambiance intimiste du foyer, et déterminé le ton du récit familial. Il ne s’agit, cependant, pas que de passé et de présent. Ces documents peuvent dégager d’importantes perspectives, voire créer des vocations. Ces archives se présentent sous diverses formes. D’aucunes sont assez évidentes, d’autres sont à déchiffrer avec quelque peine. Ça peut aussi être des archives personnelles, comme elles peuvent être « impersonnelles » tout en restant vectrices de mémoires intimes.
Ça va d’actes d’état civil ou de pièces d’identité qui trahissent par exemple le jugement supplétif d’un parent ou son lieu de naissance insoupçonné. Ce sont des dossiers médicaux à travers lesquels on trouve des réponses sur des pathologies congénitales ou des morts improbables. Ce sont des bulletins académiques qui trahissent le génie ou le minuscule intellect de papa ou maman. C’est aussi un passeport périmé qui renseigne sur le parcours ou les aventures de l’ancien détenteur. Imaginez-vous deux secondes en possession de l’ancien journal intime d’un vieux membre de la famille, ou ses premières correspondances amoureuses. En passant, sont-elles encore nombreuses les familles qui exposent l’album-photos de famille sous la table du séjour ou dans la bibliothèque ?
Dans certaines familles, cet album qui reportait les mariages, baptêmes et quelques moments de la vie privée était rangé à côté d’autres documents au travers desquels l’on peut deviner la culture des proprios. On comptait les BD L’Oncle Picsou, Rahan, Tex Willer, Les Aventures de Tintin, Aya de Yopougon, etc., des photos-romans, ainsi que des magazines et revues de divers acabits. Les meubles de la maison sont décorés de secrets qui font notre histoire et nos personnalités. Des coulisses à notre portée, dont un seul geste suffit pour ouvrir le rideau. Toutefois, nous en sommes si ingénieusement éloignés que nous les regardons chaque jour sans les voir. Or, connaître ces trésors et les histoires qu’ils renferment participerait à consolider nos identités.
C’est vrai qu’on peut se buter à des drames insolubles, comme avec ce bon dévot, mais toujours est-il que la vérité reste le principe. Puis, souvent, nous n’avons pas assez de bienveillance pour nos parents, car nous ne les connaissons pas. Ni eux, ni tout ce qu’ils ont dû endurer et traverser, ni les drames, ni les joies qui ont fait aboutir à leur version que nous subissons. Ouvrons les archives, qui ont une bonne part des réponses. mamadououmar.kamara@lesoleil.sn