À quand l’Afrique ? Voilà bien une question que beaucoup préféreraient aujourd’hui éviter tant le continent semble sans avenir. La question avait déjà été posée par l’historien burkinabé, Joseph Ki-Zerbo, dans un ouvrage entretien avec René Holenstein, paru en 2003. Plus de vingt ans après, elle reste entière. Pourtant, au début de ce siècle, l’optimisme dominait dans les discours. De « continent sans avenir », l’Afrique était devenue « le continent du futur » (The Economist). Avec les taux de croissance élevés enregistrés par la plupart des pays africains entre 2000 et 2010, l’afro-optimisme avait subitement remplacé l’afro-pessimisme. C’était l’époque où, de forum à forum, on chantait l’émergence. On pensait que la démocratie allait enfin s’enraciner sur le continent. Si le discours n’a pas véritablement changé sur les promesses d’avenir, la réalité incite moins à l’optimisme. Loin d’être la règle, la démocratie est en recul sur le continent. Entre régimes kaki et « démocratures » (régime politique qui combine des éléments de la démocratie et de la dictature), l’écrasante majorité des citoyens africains sont pour le moment privés de ce qui fait réellement une démocratie : la liberté d’expression, des élections libres et transparentes, une justice et des médias indépendants… Si l’on se fie à l’expérience des pays du Sahel, le souverainisme ne fait pas mieux. Les libertés et la qualité de vie des populations ont nettement baissé. Quant aux promesses d’émergence économique, elles ont fait long feu. Les différentes crises (Covid-19, guerres en Ukraine et au Proche-Orient) ont mis à nu la fragilité des économies africaines. Aujourd’hui, la crise de la dette menace d’effacer les progrès enregistrés au cours des dernières décennies.
Mais c’est surtout la crise sécuritaire qui préoccupe. Du Sahel au Soudan, en passant par la Rdc, le continent est ravagé par des conflits sans fin. Le Soudan est d’ailleurs un bon condensé des maux qui gangrènent le continent. Après la guerre entre le Nord et le Sud ayant entrainé la partition du pays, et le génocide au Darfour au début des années 2000, le pays est ravagé par un nouveau conflit depuis 2023. Le 26 octobre dernier, les Forces de soutien rapide (Fsr), les paramilitaires opposés à l’armée régulière, ont annoncé la prise d’el-Fasher, la dernière grande ville du Darfour qui échappait encore à leur contrôle. Cette « victoire » obtenue après deux ans de combats acharnés et des dizaines de milliers de morts, fait craindre une nouvelle partition du pays. Ce conflit, comme d’autres sur le continent, est alimenté par des acteurs extérieurs… Entre l’invasion et l’annexion du sultanat du Darfour par l’Empire britannique en 1916 et celle menée récemment par les Fsr, pas grand-chose n’a changé pour les populations de cette région. Bien sûr, entre-temps, le Soudan s’est libéré du joug colonial, mais il continue de faire face à ses démons du passé et du présent.
Hier comme aujourd’hui, le continent est le théâtre de jeu des grandes puissances. Mais cela ne dédouane pas les dirigeants africains. Les défaillances en matière de gouvernance, les violations massives des droits de l’homme sont d’abord du fait des Africains eux-mêmes. Au Sahel comme au Soudan, ce sont des Africains qui massacrent leurs propres frères, parfois dans l’indifférence totale de la « communauté internationale ». Il est temps que ce cycle de violence et d’instabilité prenne fin pour que l’Afrique puisse exploiter son potentiel. L’heure de l’Afrique viendra quand la vie de chaque Africain comptera et sera considérée comme sacrée par les dirigeants politiques et les militaires. J’ai choisi délibérément de mettre l’accent sur le verre à moitié vide, parce que la jeunesse africaine a assez entendu de promesses. L’heure doit être aux actes.
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