Le syndrome de surtaxation aiguë de Donald Trump qui frappe le monde ferait-il des émules ? Non, la décision du Nigéria, début mai, de taper le portefeuille de Meta (ex-Facebook) à hauteur de 167,3 milliards FCfa procède d’une maturation plus longue que la guerre commerciale qui se déroule sous nos yeux. Cette riposte africaine était attendue, une tendance lourde voyant de plus en plus de grands pays réclamer des comptes aux géants du numérique.
Qui mieux que l’ogre nigérian avec son 13e rang mondial dans le classement des pays par nombre d’internautes, et ses 230 millions d’habitants passant en moyenne 4 h et 20 mn par jour sur les médias sociaux, pouvait prétendre affronter « le réseau bleu » ? Dans un remake à la mode Nollywood du film-culte « The constant gardner », la Fccpc (autorité de la concurrence) a infligé une amende de 127 milliards FCfa à Meta pour des pratiques anticoncurrentielles présumées. En outre, l’Agence nigériane de réglementation de la publicité a imposé une amende de 21,6 milliards FCfa à Meta pour des pratiques publicitaires non approuvées. La Commission nigériane de protection des données (Ndpc) a, pour sa part, également infligé une amende de 18,4 milliards FCFa à Meta pour avoir enfreint les lois locales sur la confidentialité des données. En fin avril, les régulateurs des plateformes numériques de l’Union européenne avaient annoncé des amendes importantes à l’encontre de Apple et Meta, pouvant aller jusqu’à 386 milliards FCfa. 7
Aux Usa même, l’heure est trouble pour Google, Meta et Apple. Du moins sur le front judiciaire. En effet, les États-Unis ont enclenché une procédure pour envisager des moyens de démanteler la mainmise de Google sur le marché des moteurs de recherche. Le 21 avril a marqué le début là-bas aussi d’un procès pour abus de position dominante, dont l’issue pourrait contraindre le géant technologique à céder une partie de ses activités. En représailles, l’entreprise-mère de Facebook et d’Instagram, menace de les fermer au Nigéria. Ce ne serait pas sans conséquences. Le journaliste Nigérian Akintunde Babatunde, spécialiste en innovation médiatique, expliquait le 04 mai, dans le « Premium Times », comment « de Washington à Abuja et de Nairobi à Bruxelles, 2025 s’annonce comme l’année où la régulation des plateformes numériques entrera pleinement sur le terrain géopolitique ». Il souligne que « ce qui était autrefois des conversations polies sur les politiques de confidentialité et la modération du contenu est devenu une lutte à enjeux élevés pour la souveraineté, la responsabilité et le pouvoir ».
Mais le hic est que pour de nombreuses entreprises nigérianes, Facebook et Instagram sont plus que de simples outils d’interaction sociale, ce sont des éléments essentiels de leurs stratégies de croissance. Une enquête de la Gsma (organisation internationale qui représente les intérêts des opérateurs de téléphonie mobile) a révélé en 2023 que 56 % des petites et moyennes entreprises au Nigéria s’appuient exclusivement sur ces plateformes pour leurs ventes. En définitive, les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) ne font pas que gagner de l’argent. Leur action a dépassé maintenant le cadre publicitaire pour assoir le contrôle de l’opinion publique. Ils sont faiseurs de pouvoir désormais, parrainent des élections (Roumanie, Mouvement 5 étoiles en Italie…) L’économie de l’attention est leur nouveau terrain de chasse.
Le résultat est connu : des individus quasi-lobotomisés, le nez toujours penché sur leur téléphone, des consommateurs passifs mais actifs en tant que livreurs de données. Quand c’est gratuit, dis-toi que tu es probablement la marchandise ! Clics, recherches, achats, déplacements, interactions sociales : sans en avoir pleinement conscience, l’utilisateur devient la matière première d’un système qui anticipe ses comportements pour mieux capter son attention, influencer ses choix et monétiser ses préférences auprès d’annonceurs ou de partenaires commerciaux.
La question des droits d’auteur est au cœur de cette nébuleuse numérique. Pire, les traces des internautes sont de l’or numérique ; compilées, elles sont souvent vendues à des pays ou à des organisations (Cf ; scandale Cambridge analytica). De plus en plus d’États remettent en cause ce nouvel esclavage cognitif, mais tous ne sont pas logés à l’enseigne de la Corée du Sud ou de l’Union européenne qui parviennent à minorer les pratiques monopolistiques des Gafam. Dans tous les cas, la dynamique est installée. Si les clics nourrissent la machine, les internautes, eux, réclament désormais leur dividende numérique. Et le message est clair : à l’ère des Gafam-rois, ce sont les États qui veulent redevenir souverains. Et si l’Union africaine s’y engageait ? samboudian.kamara@lesoleil.sn