Je marchais dans le petit monde bigarré qui se forme à chaque fois que le Sénégal se plie en quatre pour célébrer une fête. C’était à Keur Massar, un nouvel épicentre de cette fièvre festive qui habite le cœur et le corps de nombreux compatriotes.
Un vacarme énorme, une marée humaine et… une odeur pestilentielle sous l’autopont ! Difficile de trouver un mot pour nommer cette odeur d’une acidité répugnante. Ouvert à la circulation il y a trois ans, cet ouvrage est un bijou au carrefour des extensions de Dakar, de Malika au Lac Rose. Une véritable œuvre d’art en dessous de laquelle les adeptes de la débrouille cherchent, au quotidien, les moyens de leur survie. Ici des vendeurs à la sauvette, là des ouvriers tout près de leurs outils de travail et disposés à répondre au défi de la « journée ». C’est le royaume de ceux qui vivent au jour le jour. Il n’y a pas que ça ! Il y a également la crasse dans l’arrière-cour, entre morceaux de cartons, bouts d’emballages de divers produits alimentaires et les crachats ! Dégueulasse ? Le panorama ordinaire d’un scandale ordinaire sur nos places et édifices publics.
Vous n’êtes pas encore choqués ! L’incurie vous nargue, prenant même de la hauteur par rapport à votre indignation de grand routier de la débrouille au quotidien. La pagaille occupe les passerelles comme cela a été le cas à la Patte d’Oie. Sur une plateforme d’une largeur de moins de deux mètres et surplombant la Route de l’Aéroport, vos pieds ont moins d’un mètre pour slalomer entre les babioles, la main qui vous force sa pacotille et le pied qui menace de vous faire trébucher. Si ce n’est à la Patte d’Oie, c’est sur la passerelle des Maristes, placée au-dessus de la Nationale et de l’Autoroute à péage, que vous rencontrez un taximan ou un scootériste. En d’autres lieux, c’est carrément un caïd qui, pour un misérable téléphone portable ou quelques billets de banque, menace de vous plonger, pour de bon, dans le long tunnel des victimes vers la violence inouïe. Vous tenez à la vie ou à votre bien ? Le choix est vite fait !
Ces personnes indélicates poussent les piétons vers une traversée périlleuse du bitume. À l’inverse, il y a une quinzaine d’années, la passerelle de Keur Mbaye Fall a été désertée par les piétons. Paradoxe ! De longs mois durant, l’État a été interpellé par des manifestants outrés par la fréquence des sinistres sur cette route. Ceux-ci ont préféré la traversée au sol à la hauteur d’un virage très accidentogène vers le marché. Pour les en dissuader, un gendarme a été posté sur le site. Rien n’y a fait ! Puis, l’État a posé une cloison en fer forgé au-dessus de la barrière de sécurité en béton coulé. Un investissement supplémentaire pour l’inconscience de piétons en conflit avec le civisme ! Ça pue l’incurie. D’ailleurs, les parois d’édifices publics sont devenues des pissotières à ciel ouvert. Elles sont quelquefois des panneaux éloquents de notre rapport très scandaleux à la salubrité. Tout ce que les doigts ramassent sur le corps ou dans la nature y passe. Jetez un coup d’œil sur la belle fresque murale de l’Usine des Eaux du Point B. Vous verrez de belles figures artistiques et… des traces de chaussures !
À cet arrêt de bus, de taxis et de clandos situé devant le hub de l’eau potable à Dakar, le beau est à la merci des comportements crasseux. Une vieille problématique qui rappelle cette mise en garde des temps anciens : « Défense d’uriner, amende 500 F » ou « Fii koufi saw fay 500 F ». Cet avertissement a le même destin que celui qui suit : « Attention, chien méchant ». Une mise en garde vite pastichée en « Attention Pa méchant » par les apprentis dragueurs juste entrés dans l’âge de la puberté. Je finirais par croire que l’interdit renferme un pouvoir irrésistible. Plus le message est dur, plus la cible se rapproche de l’objet de l’interdiction, en un fantasme désastreux. La tentation de l’interdit est aussi vieille que l’Humanité et notre peine sur terre, cette vallée des larmes dans laquelle nous sommes condamnés à travailler pour (sur)vivre. Le plus révoltant n’est pas le destin des pervers.
Les honnêtes gens triment plus que quiconque pour un éternel recommencement. Le progrès est toujours à réinventer parce que les glissières de nos routes se retrouvent dans des domaines privés. Les couvercles en fer des ouvrages d’assainissement transitent dans l’arrière-cour d’un receleur-ferrailleur en attendant de finir à la fonderie. Aucun regret pour les automobilistes ayant roulé toute l’année 2024 du Rond-point Malick Sy-Patte d’Oie avec le risque très élevé d’un accident. Les poteaux réservés à l’alimentation électrique sont vandalisés pour emporter le cuivre. Des scènes si tristes de lampadaires couchés ont peuplé la Voie de Contournement Nord de Thiès pendant de longs mois, au grand dam des automobilistes livrés à l’obscurité épaisse et aux coupeurs de route.
La Vdn 3, couloir de fluidité en bordure de mer, est un piège pour les automobilistes le soir. Les briques sur les pare-brise y font la loi. L’éclairage est une solution réclamée par les usagers. Naturellement ! Pourtant, dans certaines zones, des malfrats, alliés de l’obscurité pour leurs basses œuvres, ont vandalisé des lampadaires au lance-pierre. L’éclairage public ne fait pas l’affaire des ombres mouvantes de la nuit noire guettant les gens de paix pour les dépouiller. La grande fièvre destructrice s’empare de larges parts de notre société. Attention, laxisme méchant, devrais-je dire ! Il faudra bien des chiens de garde d’un certain ordre civique.