Il y a des voix qui ne vieillissent pas, qui traversent les décennies avec la même intensité, comme si elles étaient hors du temps. Celle de Baaba Maal en fait partie. Quarante ans de carrière, quarante ans de passion et d’engagement, quarante ans à chanter le fleuve Sénégal et les espoirs d’un continent.
À soixante-dix ans, le maître du yela, infatigable, continue de porter la musique peule comme un étendard, entre tradition et modernité, entre racines profondes et horizons ouverts. Lorsqu’il débute au début des années 80, Baaba Maal est un jeune homme du Fouta, né à Podor, bercé par les chants des griots, même si lui ne l’est pas de naissance. Il aurait pu suivre le chemin tracé pour lui et devenir fonctionnaire, professeur peut-être, comme le souhaitait son père. Mais la musique était une évidence. Il part à Dakar, puis en Europe, apprend la guitare et les subtilités du conservatoire. Mais ce qu’il veut, ce n’est pas seulement maîtriser les codes occidentaux, c’est fusionner, créer des passerelles entre les sons de son enfance et les influences du monde. Le premier album, Wango (1984), pose les bases de ce qui deviendra sa marque de fabrique : une voix aérienne, presque mystique, et des compositions où les percussions et les cordes dialoguent avec des guitares électriques et des cuivres. Il ne chante pas pour distraire, il chante pour éveiller, pour raconter l’histoire des siens, pour défendre la culture peule, souvent marginalisée au Sénégal.
Ses albums suivants, Djam Leelii (1989) et Baayo (1991), lui ouvrent les portes de l’international. L’Afrique l’écoute, l’Europe l’adopte, il devient une voix majeure de la musique du continent. Mais Baaba Maal n’est pas qu’un chanteur. Il est un passeur, un militant, un homme de parole. Dans les années 90, alors que le Sénégal vit des mutations politiques et sociales, il s’engage pour la jeunesse, pour l’environnement, pour le développement. Il est nommé ambassadeur du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et utilise sa notoriété pour défendre l’accès à l’éducation et la préservation des ressources naturelles. Il chante l’eau, la terre, les ancêtres, les exilés. Sa musique est un cri, un appel à ne pas oublier d’où l’on vient, à bâtir sans renier. Les années 2000 le voient explorer d’autres territoires. Il collabore avec les plus grands : Mansour Seck, son compagnon de toujours, mais aussi Damon Albarn, Johan Hugo du groupe The Very Best ou encore Mumford & Sons.
Son album The Traveller (2016) est un virage audacieux, où les sonorités électroniques côtoient les rythmes traditionnels du Fouta. Certains puristes s’étonnent, mais lui sait que la musique, comme le fleuve qui borde sa ville natale, ne cesse jamais de se renouveler. En 2023, il revient avec Being, un album où il prouve encore une fois qu’il est bien plus qu’un chanteur de world music : un artiste total, capable de réinventer la musique africaine sans jamais la trahir. Son public, lui, n’a jamais faibli. Qu’il chante dans les grandes salles européennes ou lors des festivals populaires au Sénégal, l’émotion est la même, intacte, presque sacrée. Quarante ans de carrière, et toujours cette même intensité. Que reste-t-il à dire de Baaba Maal ? Peut-être simplement qu’il est devenu une légende vivante, un artiste qui a su faire du temps son allié. Un homme qui, par sa voix, continue de relier le passé et l’avenir, le Fouta et le monde, le chant et la conscience. Baaba Maal n’a jamais chanté pour plaire, mais pour dire. Et quarante ans plus tard, on l’écoute toujours. sidy.diop@lesoleil.sn