Le décès de l’élève Dior Dieng, vendredi 4 juillet, en pleines épreuves du baccalauréat, constitue un rappel brutal de l’énorme pression que subissent nos enfants. Tous ceux qui ont traversé l’épreuve fatidique du baccalauréat ont connu ces moments de stress, de nuits blanches et parfois même de dépression. L’attente des résultats est encore pire. Ceux de l’ancienne génération se souviennent de scènes insoutenables lors du fameux « Approchez » à la proclamation des résultats. Des cris de joie pour les heureux élus. Mais, le plus souvent, ce sont des cris de désespoir pour les recalés. Aujourd’hui, le système de proclamation des résultats a certes changé – les élèves reçoivent des Sms – mais le stress lié à l’attente n’a pas changé. La pression est accentuée par le cercle familial. Consciemment ou non, on fait croire à l’élève que son avenir dépend de son résultat au bac. Comme si le destin se résumait en un parchemin, fut-il la porte d’entrée de l’enseignement supérieur et éventuellement d’un bon emploi, synonyme de « réussite ». Cette perception se nourrit d’une vérité cruelle : sans diplôme universitaire, les perspectives d’emploi sont quasi nulles pour nos jeunes. C’est pourquoi beaucoup de parents font de la réussite scolaire une mission sacrée, renforçant la pression sur ces jeunes adolescents à peine conscients des enjeux d’un monde violent et concurrentiel. Parfois, la pression familiale se poursuit jusqu’aux études supérieures. Combien d’élèves ont dû sacrifier leurs rêves, leur passion, pour satisfaire aux exigences de « réussite » fixées par leurs parents ? Le brillant Souleymane Bachir Diagne raconte dans son ouvrage autobiographique « Le fagot de ma mémoire », le dilemme auquel il fut confronté après le bac : les maths ou les humanités ? Il eut l’heur de choisir sa passion faisant fi des codes préétablis. Bien lui en a pris. Mais combien ont eu cette chance ?
Le drame survenu au lycée Limamoulaye rappelle l’urgence de réformer un système éducatif devenu inadapté aux réalités de notre époque. Il faut le dire, notre système éducatif, hérité du modèle colonial, est trop sélectif, trop élitiste. Il procède plus par élimination ou écrémage que par acquis de connaissances. Ce qui pousse certains parents, déjà formatés par le modèle, à insister plus sur le rang (classement) que sur la moyenne obtenue par l’élève, c’est-à-dire les connaissances assimilées. Or, c’est l’inverse qui est désormais de mise dans les pays avancés. Le système de notation reflète simplement le niveau d’assimilation des connaissances. Le rang importe moins. En effet, sous tous les cieux, la tâche première de l’éducation, c’est d’abord celle d’une « décolonisation de l’esprit ». En d’autres termes, le combat pour cette libération des imaginaires est simplement synonyme de combat pour l’éducation, car la finalité de celle-ci, en quelque région du monde que ce soit, au nord, comme au sud, est de débarrasser l’esprit de ce qui le colonise, c’est-à-dire de tout fatras de préjugés et d’opinions non fondées en raison qui offusquent la lumière du savoir. Cette exigence est d’autant plus actuelle que l’intelligence artificielle transforme la signification même du travail humain. L’enjeu n’est donc plus tant l’accumulation de connaissances théoriques, mais de construire un citoyen libre et apte à faire des choix pour le bien de l’humanité. Il est donc temps de sortir d’un canon académique euro-centré hérité de la colonisation. Certes, il y a eu des tentatives timides de réforme du système éducatif sénégalais. La suppression annoncée du concours d’entrée en 6e s’inscrit dans ce sillage. Mais il faut aller plus loin. Éduquer au monde qui vient, c’est faire en sorte que la science africaine soit présente dans la révolution de l’intelligence artificielle. Ce qui ne s’accommode pas d’un modèle calqué sur le passé !
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