Voyager en Afrique avec des compagnies aériennes du continent relève souvent du parcours du combattant. À l’exception de trois ou quatre transporteurs relativement fiables, la plupart naviguent à vue. Derrière le vernis marketing – magazines promotionnels, publicités clinquantes et sourires forcés des hôtesses et des stewards -la réalité est bien souvent chaotique. Le service est aléatoire, les retards récurrents, les annulations brutales. Et comme si cela ne suffisait pas, les passagers ne sont que rarement informés à temps. Quand ils ont la chance d’embarquer, c’est pour vivre une expérience médiocre, où même les plus basiques standards de l’aviation commerciale semblent facultatifs. Les excuses, quant à elles, sont devenues un refrain automatique dans les annonces des commandants de bord et des hôtesses. Et pendant ce temps, les clients n’ont aucun recours. Les lignes téléphoniques des compagnies restent désespérément muettes. Il faut dénoncer publiquement sur les réseaux sociaux pour espérer obtenir une réaction, tant l’image compte davantage que le service rendu.
Durant la période des Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement, la compagnie Air Côte d’Ivoire – on apprendra plus tard que c’est devenu récurrent depuis quelque temps – a franchi un nouveau seuil dans l’impréparation. À cette occasion, de nombreux journalistes invités, qui avaient eu la malchance de voyager avec cette compagnie, ont fait les frais d’un enchaînement de dysfonctionnements : vols annulés sans préavis, retards interminables, absence totale de communication. Certains ont attendu jusqu’à 36 heures pour enfin décoller. Dans un groupe WhatsApp dédié à l’événement, les récits affluaient : tel vol disparu du jour au lendemain, tel autre repoussé sans explication. Nous-mêmes avons vécu un retard de deux heures, n’ayant été mis au courant qu’une fois à l’aéroport, ce qui, dans ce contexte, relevait presque de la chance. D’autres ont vécu pire. Comme ces passagers en partance pour Bamako : ils sont restés bloqués de 9 h à 20 h sans information. Ce n’est qu’après avoir élevé la voix que la compagnie a enfin reconnu qu’ils ne partiraient que le lendemain. Ils ont été logés à l’hôtel… mais sont revenus le jour suivant, encore sous le choc, la peur au ventre de voir encore leur vol annulé. Des pertes de bagages devenues monnaie courante. À ce propos, une anecdote récente rapportée par la presse est assez édifiante : une compagnie dite « sérieuse » n’a pas pu restituer les bagages de tous ses passagers… l’avion transportait encore ceux d’un autre vol depuis trois jours. Il y a deux semaines, un confrère est rentré de Cotonou sans ses bagages. Deux jours plus tard, c’est une valise éventrée et délestée de ses quelques effets personnels qui lui a été rendue.
Pour nombre de nos compagnies aériennes, si ce n’est un service médiocre, c’est le coût exorbitant des billets pour des distances parfois ridiculement courtes qui décourage. Des escales interminables, souvent plus longues que le vol lui-même. Les pavillons africains ont encore un long chemin à parcourir. Malgré des élans de patriotisme ou la volonté de « consommer local », le retour sur investissement émotionnel est décevant. La confiance placée par les passagers n’est tout simplement pas honorée. Depuis le démantèlement d’Air Afrique, chaque pays a lancé sa propre compagnie, souvent plus par fierté nationale et ego surdimensionné que par stratégie réfléchie. Résultat : une prolifération de compagnies qui naissent et meurent à un rythme effréné. En Côte d’Ivoire, comme au Sénégal, au Mali, au Burkina, au Cameroun… seul le nom change — « Air ceci », « Airlines cela », « Airways machin » — mais les maux restent : mauvaise gestion, retards chroniques, matériel vieillissant. À titre de comparaison, même une compagnie low cost européenne, sans grandes ambitions, offre un service plus fiable que bien des transporteurs africains. Ici, certaines flottes ne comptent même pas dix appareils, parfois en leasing impayé, ce qui entraîne des poursuites judiciaires. Et quels appareils ! Des gouffres financiers, entretenus à grands frais par les États au nom du prestige national. Des fortins qui veulent s’imposer dans un secteur exigeant avec leur seule fierté mal placée. Pas étonnant qu’elles soient presque toutes interdites de ciel européen.
Mais au fond, est-il indispensable d’avoir une compagnie aérienne nationale si l’on est incapable d’assurer un minimum de service aux voyageurs ? Mieux vaut rester cloué au sol que risquer l’accident en plein vol. Et pourtant, à la fin du calvaire, la voix douce d’une hôtesse s’élève dans les haut-parleurs : « Nous espérons que vous garderez une bonne expérience de ce vol. » Ironie cruelle. Les voix mielleuses ne suffisent pas à masquer la colère.
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