Dans la nuit de samedi à dimanche dernier, Babacar Coulibaly, un Sénégalais âgé de 17 ans, né aux États-Unis, de parents sénégalais originaires de Bakel, a été tué par balles à Atlanta. Encore une âme brutalement arrachée à l’affection de ses proches. C’est comme un éternel recommencement. Depuis quelques années, des Sénégalais dont le seul tort est de se trouver au mauvais endroit et au mauvais moment croulent sous les balles au pays de l’Oncle Sam, y perdent la vie. Une situation déplorable qui perdure et qui ne semble pas partie pour s’arrêter.
En 2019, j’ai coécrit avec un ami, Papa Waly Ndao, un roman intitulé « Taxi 359, du rêve au cauchemar » pour dénoncer toutes ces vies brisées à jamais par balles, sans raison aucune. L’ouvrage retrace la vie de Pape Thiam, un jeune taximan tué à Louisville, dans l’État du Kentucky (États-Unis), un soir du 16 novembre 2014, alors qu’il n’avait qu’une ambition : il voulait réussir et gagner dignement sa vie. Débordant d’ambition et obnubilé par l’« American Dream », devenu depuis longtemps un mythe chez beaucoup de Sénégalais, le jeune homme avait réussi à concrétiser son rêve. Arrivé aux États-Unis alors qu’il n’était âgé que de 17 ans, il ne s’était jamais douté que son rêve allait virer au cauchemar. Quatre jeunes américains lui avaient tendu un piège dont il n’était pas sorti vivant. Ils l’avaient froidement abattu dans son taxi.
Bien des années plus tard, plusieurs Sénégalais ont également vu leur rêve américain se briser. À la place de la fortune qu’ils étaient venus chercher, ils ont récolté la mort. Ce roman avait d’ailleurs fait l’objet d’une très belle analyse du professeur Kate B. Monin de l’Université Arcadie de Pennsylvanie. Son texte était publié dans le volume 93 de La revue française de l’Université John Hopkins aux pages 241 et 242.
Et aujourd’hui encore, cette spirale continue et n’est pas prête de s’arrêter. Le nom de Babacar Coulibaly est venu s’ajouter à la longue liste des victimes sénégalaises tuées par balles. Ce drame qui l’a emporté n’est pas la première et ne sera pas la dernière non plus. Dans ce pays où les gens ont la gâchette trop facile, les Sénégalais sont souvent la cible d’adolescents, parfois racistes, qui n’hésitent pas à les envoyer ad patres. Amadou Lamine Cissé, Fara Diagne, Mohamed Diop, Serigne Bamba Diokhané, Ndèye Ngoné Seck, Pape Khaly Ndiaye, Mamadou Diop alias « Moustapha », Abdou Salam Cissé, Aboubacar Bah et Maodo Kane, Cheikh Amy Diop, Mamadou Ngom « Thialy », Modou Diagne, Baba Ndiaye, Abdoulaye Sylla, Jeannot Mendy et bien d’autres encore sont tous tombés sous les coups des balles. Sur le chemin de la concrétisation de leurs rêves, ils ont croisé la barbarie, la monstruosité, la mort. Et leurs parents ont vécu ces drames comme un arrachement, une amputation.
La particularité des États-Unis est que la violence par armes à feu fait partie du quotidien des Américains. Les fusillades de masse appelées « mass shooting » ou « mass killing » s’y produisent avec une surprenante régularité. Le port d’armes y est garanti, depuis 1971, par le deuxième amendement de la Constitution qui dispose : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé ». Avec la Bill of Rights (La Déclaration des droits est l’ensemble constitué des dix premiers amendements à la constitution américaine) qui garantit aux citoyens américains le droit de posséder une arme, en vertu de la législation de chaque État, pratiquement, chaque Américain détenait une arme. Donc n’importe qui pouvait en acheter une s’il est âgé de plus de 18 ans.
Au pays de l’Oncle Sam où la criminalité se moque pas mal de l’origine, de la nationalité ou de l’âge des victimes. Sur le sol américain, on avait plus de chance de mourir d’une balle que d’une maladie ou d’un accident. Et personne ne s’en émeut. Et aujourd’hui encore, nos compatriotes continuent de vivre leur rêve comme un cauchemar américain. Chaque jour se lève pour eux avec un océan d’incertitude ; une incertitude d’être tué par balle ou d’être une victime collatérale d’une fusillade. Il est temps que cette folie meurtrière parfois gratuite cesse.
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