Parler de femmes agite certains hommes. C’est pire encore quand il est question de mouvement féminin. À croire qu’elles incarnent le « ténébreux par qui tout dégénère » et que « sur l’autre côté, il faut lancer l’autre tonnerre » pour reprendre le poète et romancier français Victor Hugo.
Des organisations féminines, qui se sont résolues à travailler pour un toilettage en profondeur du Code de la famille, ne diront pas le contraire. Elles subissent des foudres en essayant de procéder à une meilleure vulgarisation du document qui légifère sur la famille sénégalaise. Leur souhait d’encourager le législateur à le réadapter aux réalités socioéconomiques du pays suscite des remous de l’autre côté de la rive. Comme si ces tourbillons de vie peuvent faire perdre des parcelles d’un pouvoir masculin. Elles butent encore le regard vitreux d’une certaine catégorie sociale. Le plaidoyer d’un lobby religieux, qui prend leur contrepied, freine souvent leur élan. L’État, en optant pour la prudence, fait la sourde oreille, ces dernières années, face à une revendication légitime, laquelle vise le bien-être collectif. Les faits ont démontré que loin d’être un combat à relents féministes, la réforme du code de la famille revêt plus des allures d’un combat citoyen.
Des organisations comme le réseau « Siggil jigeen », en charge de mener le plaidoyer, le répètent à l’envi. « Il n’est pas question de substituer la femme à l’homme dans le pilotage de la famille mais d’aider les femmes à jouir de leurs droits afin de permettre au couple de jouer ses rôles respectifs dans la complémentarité et la solidarité. » Elles militent pour l’égalité des chances mais considèrent que l’homme reste un partenaire stratégique de la femme. Elles ne remettent pas non plus en cause la pertinence du Code de la famille, voté en 1972 puis promulgué en 1973. Le Sénégal était, à l’époque, l’un des rares pays africains à disposer d’un tel référentiel. Et c’est dans l’optique d’asseoir un équilibre social que des règles adaptées aux conditions de vie de l’époque avaient été établies. Des avancées notables ont été enregistrées sous la conduite de la brillante première femme députée et ministre feue Caroline Diop et des représentants de tous les segments de la société. Le Code interdit le mariage forcé et exige le consentement des époux. Le mariage précoce est aussi interdit. L’âge minimal est fixé de 16 ans pour la fille. La dot est aussi réglementée, elle ne constitue une condition du mariage que si les époux le décident. Il est par la suite accordé à la femme la liberté d’exercer une profession sans l’autorisation préalable de son époux. C’était à la faveur d’une réforme entreprise en 1989.
Le divorce judiciaire passe comme seule forme de dissolution du mariage, la répudiation est interdite. Le Code exige une obligation d’entretien de la femme mariée, laquelle est transformée en pension alimentaire lors du divorce. Il prône aussi l’instauration de l’égalité des parts entre l’homme et la femme en cas de succession de droit moderne. Mais certaines dispositions deviennent caduques au fil des ans. Mais 1 O ans après son adoption, l’Association des juristes sénégalaises est montée au créneau pour proposer une réforme tenant compte des nouvelles réalités socio-culturelles. Le déphasage est déjà au rendez-vous. En 1989, des réajustements ont permis d’améliorer le traitement de la femme mariée à travers une revue des dispositions visant le lieu de résidence, le divorce, le droit au travail et l’utilisation du nom de l’époux. L’homme, la femme et les enfants en tirent tous un large profit.
Des espoirs de changements majeurs dans l’intérêt de la famille s’émoussent ces dernières années. Des religieux se dressent en boucliers contre un projet de réforme élaboré en 1998 par le gouvernement sénégalais. En 2000, avec l’alternance politique, deux initiatives sont prises dans la perspective de la réforme du Code de la famille : une initiative étatique et un projet des associations islamiques. Les féministes ne lâchent pas du lest. En 2016, grâce au vote de la loi sur la nationalité, les Sénégalaises sont en mesure de transmettre leur nationalité à leurs époux et enfants au même titre que le père. C’est la famille qui y gagne encore. Un exemple parmi d’autres qui montre que la perte de la puissance paternelle au profit de la parenté conjointe ne vise aucunement à remettre en cause l’autorité morale des hommes au sein du foyer… Mais comme homme suit femme… matel.bocoum@lesoleil.sn