Imaginez ce que serait la presse quotidienne sans ses correspondants régionaux ? Qu’il vente ou qu’il pleuve, sous la forte chaleur des campagnes et villes, partout et sur toute l’étendue du territoire national, ces braves soldats de l’information sont toujours fidèles au poste. Ne s’imaginant rater un seul rendez-vous avec les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs, relayant avec rigueur, professionnalisme et passion, toutes les initiatives locales, recueillant et donnant vie aux réalités de nos terroirs, devenant ainsi la voix des sans voix, pour reprendre la belle formule de feu Sidy Lamine Niass, fondateur du Groupe « Walfadjiri ». Il est rare voire impossible d’ouvrir un journal, d’écouter le « midi » ou de suivre le « 20 heures », sans la signature des confrères des régions. Très souvent même, ce sont eux qui assurent 30 à 40 % des contenus des journaux.
Preuve de cette place de plus en plus importante de l’information régionale, beaucoup de rédactions se sont dotées d’un service spécialement dédié aux correspondants. Les desks « Région », « Terroirs » ou encore « Collectivités territoriales » sont très prisés avec des articles qui mettent en lumière la richesse de la vie associative, culturelle, économique, éducative et sportive, contribuant ainsi à la cohésion et au dynamisme des terroirs tout en informant les habitants avec rigueur et proximité. Et aujourd’hui, nombreuses sont les entreprises de presse qui rivalisent dans la construction de bureaux régionaux. Le privé comme le public, tous se sont mis dans cette course avec un objectif précis : valoriser l’information régionale par un maillage territorial. Mais que reçoivent en retour ces correspondants ? Des disparités honteuses. Peu d’entre eux sont rémunérés. L’écrasante majorité ne disposant pas de contrats en bonne et due forme, réduits à de simples prestataires sous-payés. Sans statut, peu considérés et donc exploités, ces correspondants vivent ainsi dans une incroyable précarité.
Jonglant quotidiennement entre les « clandos », les « taxis-brousse », les fameux « jakarta » ou faisant du « P2 » pour trouver l’information à la bonne source, la traiter avant de la faire parvenir à leurs rédactions centrales. « Les gens ne veulent pas parler de leur situation réelle, mais la vérité est que beaucoup de correspondants ici ne sont pas rémunérés, la majorité d’entre eux n’ont pas de contrat. Il y en a qui sont correspondants d’organes de presse pendant plus de 20 ans et qui ne disposent toujours pas de contrat », nous informe un correspondant en service à Saint-Louis. Un autre de confirmer, avec un témoignage assez illustratif de cette vie de précarité. « Je n’ai qu’un contrat moral avec mon employeur. J’ai juste eu un entretien téléphonique avec le responsable qui a manifesté sa volonté de collaborer avec moi.
Et au cours de cette discussion, il m’a fait savoir que l’organe n’avait pas assez de moyens, mais que sous peu la situation allait changer, ce que j’ai accepté ; mais un an après, toujours rien ». D.S, correspondant à Kaolack de faire savoir que non seulement il ne reçoit rien à la fin du mois, mais qu’il prenait entièrement en charge les frais de ses reportages. « C’est moi-même qui prends en charge mes déplacements pour faire mon travail. J’utilise ma propre connexion pour faire le travail et envoyer les éléments ». Le pire, c’est que cette précarité des correspondants ne semble préoccuper personne. La corporation ne se mobilise pas. L’État joue l’indifférence. Le patronat s’accommode de cette main-d’œuvre bon marché. Le Synpics (Syndicat des professionnels de l’information et de la communication sociale) est visiblement impuissant. La Convention des jeunes reporters du Sénégal (Cjrs) s’illustre dans ses sorties mais peine encore à changer la donne. Tout le monde fait comme si c’était une situation normale. Et en attendant des lendemains qui chantent, ceux et celles qui sont sur le terrain pour assurer la visibilité et l’ancrage local de nos journaux, radios, sites et télévisions continuent de broyer du noir. Dans une admirable dignité. abdoulaye.diallo@lesoleil.sn