La corruption n’est pas l’apanage de l’Afrique et des Africains comme veulent le faire croire les stéréotypes et certaines études. L’anthropologue Dahou tente d’expliquer la particularité du fléau sur le continent comme la résultante d’une résistance des valeurs africaines au modèle de l’État wébérien imposé par la colonisation. « Si l’historicité des sociétés africaines est en cause, ne s’est-elle pas forgée à travers le phénomène plus large de la mondialisation des échanges », se demande-t-il. Dahou reconnaît que la corruption est inhérente à toute forme d’État, mais sa généralisation ne saurait être un atavisme issu de l’Afrique précoloniale, « car elle tire son origine de l’inscription des sociétés africaines dans le processus de mondialisation ». Ainsi, la traite et le commerce humain ont contribué à répandre des « logiques corruptives » sur les décombres desquelles s’est construit l’État colonial. Et nos États indépendants ont hérité et perpétué ces modes de gouvernement. Les anthropologues Giorgio Blundo et Olivier de Sardan, eux, trouvent les racines du mal dans le modèle de l’État importé, qui a corrompu nos valeurs.
Quoi qu’il en soit, le mal n’épargne aucun pays. « La corruption revêt des déguisements infinis » (dixit Franck Herbert) (pots-de-vin, détournement) ignore les frontières et est facilitée, aujourd’hui, par la technologie, favorisant pernicieusement les importants flux illicites d’argent à travers les frontières.
Revenons-en au cas de l’Afrique. Le venin du mal y est instillé par les Africains certes, mais aussi par les Occidentaux (multinationales, hommes d’affaires) à des proportions inquiétantes. On peut citer le scandale du cabinet conseil Boston consulting group (Bcg) en Angola, qui a avoué, en 2024, avoir versé, via des comptes offshore, des millions de dollars en pots-de-vin pour décrocher des contrats en Angola, entre 2011 et 2017. Le géant des matières premières, Glencore, a plaidé coupable dans une affaire de corruption dans plusieurs pays africains, notamment le Nigeria, le Cameroun, ce qui lui a valu des amendes de 1,1 milliard de dollars. Les exemples font florès et n’émeuvent que le temps d’une rose.
Cette corruption, importée ou encouragée par des élites, n’exonère en rien les Africains. Avec les transactions en espèces qui laissent peu de traces, la pratique est érigée en mode d’enrichissement, de survie ou de réponse à la forte demande sociale. Quand le mal s’invite dans l’administration, il génère des contrats mal ficelés, et l’État perd ainsi des ressources financières et naturelles importantes. En donnant « un coup de pouce » intéressé à un postulant à un marché public, on fausse les règles du jeu et, par conséquent, on détériore l’environnement des affaires. Les pots-de-vin favorisent la réalisation d’infrastructures bas de gamme, occasionnant des risques sanitaires ou de pertes en vies humaines à la moindre catastrophe. Selon Transparency international, 83% des décès dus à l’effondrement de constructions dans les séismes au cours des 30 dernières années ont lieu dans les pays où règne la corruption.
Malheureusement, on a tendance à minimiser le mal. Pire, on le légitime même parfois, c’est le fameux « bras long » ou l’adage « ku am kuddu du lakk » (littéralement : quand on a une cuillère, on ne se brûle pas les doigts en mangeant). Sans s’en rendre compte, on contribue à augmenter le coût de la corruption, qui est de 140 milliards d’euros en Afrique, soit un quart de son Pib, selon la Banque africaine de développement (Bad). Une étude du cabinet de conseil Africa Practice et l’Ong Africa no filter révèle que les préjugés sur la corruption coûtent à notre continent 3,6 milliards d’euros de perte par an.
Les médias sont les principaux constructeurs de ces préjugés, bâtis autour de la corruption mais aussi des élections, des conflits, de la pauvreté, avec une forte tendance à présenter l’Afrique comme un continent homogène. Ce qui exagère la perception du risque. Le rapport d’Africa Practice et d’Africa no filter (« The cost of media prejudice to Africa – The relationships between media, investment and economic development », publié en octobre 2024), évalue la « prime de préjudice » sur le service de la dette à 4,2 milliards de dollars par an. On sait que le piège de la dette est une spirale qui condamne nos États à remplir le tonneau des Danaïdes que constituent les besoins et droits pressants et imprescriptibles du peuple (éducation, routes, hôpitaux, accès à l’eau, etc.).