À côté de la clameur nourrie par la pratique politicienne, ses débats et tout ce qui lui confère sa drôle de fresque, l’actualité au Sénégal garde parallèlement ses jolis sentiers. Le tumulte est d’ailleurs souvent un embryon de chaos qui concentre plus de perception que de réalité. Le divertissement n’a jamais perdu ses droits, et les arts ne cessent de passer leur volupté aux âmes. Les réseaux sociaux se révèlent actuellement une joyeuse tribune.
L’internaute sénégalais a de plus en plus l’aubaine de profiter de réjouissantes archives de notre musique contemporaine, et de s’en bercer l’oreille et le cœur. On compte beaucoup de pages qui se distinguent avec brio, sur Facebook, TikTok et YouTube notamment. Il y a la page «Mosow» de l’excellent podcasteur Mohamed Sow et «Le Berger des Arts» du bon doyen et infatigable passeur, Mamadou Sékk (YouTube).
L’intérêt en prime avec ces deux messieurs, c’est que, sur Facebook, ils accompagnent leurs contenus multimédias de textes digestes et agréables qui expliquent le contexte et parfois la démarche. Doués d’une enviable culture générale en tous genres musicaux, Mohamed Sow et Mamadou Sékk gratifient leurs followers de belles critiques des œuvres. Ils décortiquent les séquences, présentent les discrets façonniers des chefs-d’œuvre (instrumentistes, auteurs, producteurs, etc.), récitent des anecdotes croustillantes et évocatrices, relatent des conjonctures qui ont présidé aux enregistrements des tubes, ouvrent l’encyclopédie, etc. Ils nous présentent aussi les morceaux et les vidéos sous leur meilleure couture, en faisant le remastering.
Ils s’y prennent surtout avec une pédagogie et une approche des plus séduisantes. C’est d’ailleurs à Mohamed Sow que nous devons la série de documentaires sonores la plus fournie sur la vie et l’œuvre de Youssou Ndour, « L’Envol du rossignol », au travers du blog DuKokalam. Vous pouvez aussi trouver sur sa page «Mosow» (YouTube) les documentaires sonores sur Toure Kunda, Orchestra Baobab, Thione Seck, Super Diamono, Kine Lam, Habib Faye, entre autres. Il y avait également la superbe page «Retros Music World», malheureusement supprimée de YouTube, qui était un formidable trésor des albums world music. C’était une niche d’archives où les nostalgiques et autres saasu-man qui ont troqués les pattes d’eph et chemises cintrées aux sabadoors s’enivraient purement.
Faye Sanor Pro, Aliou Thiam Ange-Kara, Maack TV Sénégal (sous des registres plus divers), Ibrahim Diallo, les pépites de Newdakarsound, etc. font aussi un important travail de conservation et de culture. Il faut tirer le chapeau à Armand Sène et Mouhamadou Falilou N’Diaye «Archives MFN» qui publient une banque de données d’une portée remarquable. La jeune soldatesque qui commente ces posts, surtout sous les extraits publiés sur TikTok, s’amuse généralement dans la raillerie. Ces internautes, souvent dans la vingtaine, persiflent la mode de ces années 1980-2010 ou se gaussent des « manières » de tel ou telle artiste. Heureusement, une bonne cohorte perçoit la dimension patrimoniale de ces archives, qui sont de magnifiques témoignages de l’histoire. Elles font découvrir à tel point la scène musicale contemporaine, depuis son essor dans les années 1980, est le champ libre de talents de tous poils. Elles enseignent à souhait qu’un artiste doit investir sur la qualité de son œuvre et s’inscrire dans la performance pour être une légende, ou du moins une voix hors du lot. Ce n’est pas pour rien qu’on exhume à tout-va des œuvres trentenaires ou quarantenaires (Sapali de Aby Ngana Diop, Sida de Kiné Lam, Jàmm de Youssou Ndour, etc.). Elles sont intemporelles. Des crus si bien produits qu’ils vont en se bonifiant.
En constatant aussi la disparition de certains talents ou génies de la scène, on voit l’impératif du travail, de la discipline, d’un plan de carrière et de la compréhension de l’écosystème. L’importance aussi d’un staff professionnel, et la résolution ferme de briller. Il y a deux années, une grande vedette laissait entendre que les festivals ne l’intéressent pas, car il cherche à gagner de l’argent. Saperlipopette ! Bien sûr, nous ne renions ni la chance ni le destin. Enfin voilà, on ne peut manquer d’avoir de la peine en réécoutant Mamadou Lamine Maïga, Alioune Mbaye Nder, Souleymane Faye Diégo, Moustique, Abdou Guité Seck qui est une voix sublime et un lyriciste d’exception, Abou Thioubalo, Mapenda Seck, Abou Diouba Deh (tête d’affiche de la 6e édition du Dialawaly Festival, ce week-end, à Dagana)… Mais où est passé Christian Lévry, génie erratique qui trainait sa guitare au Plateau, parolier et compositeur hors-pair ? Bref, ces publications sont de formidables références et (re)découvertes qui font sens et peuvent redorer le blason devenu presque haillon. La RTS a un rôle primordial à assumer, comme l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) en France.
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