«Bouge de là ! » Ce matin, me visite cet air à succès du rappeur français d’origine tchadienne Mc Solar, Claude M’Barali à l’état civil. Une expression ponctuant chaque couplet de cette chanson très populaire des années 90. Un refrain pour la femme d’une ville du nom de Maisons-Alfort qui lui propose du réconfort ; ce que décline l’artiste parce que ne mangeant pas de porc. Un refrain également pour le gars qui l’invite à une partie de boxe à la Gare de Lyon et qu’il snobe, la voisine qui lui propose en vain de faire descendre son chien, le clochard du métro venant de Rennes et qui veut prendre une douche et à qui le rappeur propose de se jeter dans la Seine, l’ami venu de Marrakech qui offre des raps en dinars et non en dollars… Ouf, il faut bouger de là ! « J’ai dû m’en aller… J’ai dû m’évader… J’ai dû (m’éclipser)… » Mc Solar, honoré par l’Assemblée nationale pour sa contribution au rayonnement de la langue française au moment où le rap américain avait conquis le monde, a choisi de partir. Le maire de Kaolack, Serigne Mboup, lui, a choisi de rester sur la scène des désaccords.
Pour ce refus net, le mot de la semaine aura été, à n’en pas douter, « dégage » ! Et ce face-à-face a fait débat avant un happy end devant le Khalife général Cheikh Mahi Niass. Le reste, ce sont les explications circonstanciées de l’administrateur civil et le buzz sur les réseaux sociaux. Beaucoup y sont allés de leur analyse ou, plus précisément, de leur interprétation voire une caractérisation des administrateurs civils, policiers, gendarmes, etc. « Dégage » est défini comme un élément du jargon de ces corps par quelques observateurs. Il en est de même pour l’expression « ici, ce n’est pas un bordel ». Il est attribué aux forces de défense et de sécurité pour rappeler à l’ordre les auteurs d’un écart vis-à-vis de l’ordre. Le mot « Circulez » des forces de l’ordre est une sommation assez intimidante. À ce sujet, une anecdote me vient à l’esprit, racontée celle-là par un confrère, il y a une vingtaine d’années. À l’époque, l’opposition avait mis en place un cadre de collaboration au nom évocateur : Initiative pour le Départ d’Abdoulaye Wade/Idewa. Rendez-vous fut pris pour une marche à partir du rond-point de la Rts, emprise aujourd’hui occupée par la ligne du Brt. Tôt le matin, une manifestante se présenta. Le policier lui intima l’ordre de… dégager ! L’opposante ne l’entendit pas de cette oreille. Il tenait à user d’un droit consacré par la Constitution. Se tournant vers elle, le policier lui dit la source de sa frustration : « Avoir été viré du Gouvernement ». Quel lien ? D’autres mots du même tempo que « circulez » peuvent déranger : bazar, pagaille, foutoir, chambard, etc. Le jargon ou argot professionnel est à la fois le charme et le répulsif des corporations. Il désigne l’ensemble des mots ou expressions utilisés par une corporation. Ce langage passe très bien dans son espace de conceptualisation et d’émission. En dehors, la perception peut être négative.
Dans ce domaine, je me souviens avoir dit, dans une réunion avec des techniciens : « Si nous ne bouclons pas ce dossier dans les 24 heures, nous serons morts ». Un abus de langage. Je voulais effectivement dire : « Ce sera mort », signifiant que la cause allait être perdue. Cette méprise m’a valu la réplique spontanée d’une collègue, avec un humour qui fit rire l’assistance : « Ah nous, nous ne serons quand même pas morts pour cela ! » La vérité est que ma corporation d’origine, le journalisme, a créé l’expression « bouclage » qui se fixe une frontière « intangible » pour reprendre une expression fétiche de l’Organisation de l’Unité l’africaine (Oua), transformée en Union africaine (Ua) : « l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation » (Cette formule rituelle n’a pas exorcisé les conflits frontaliers, hein !) Ce bouclage va avec le mot « deadline » que l’on peut sommairement traduire par la ligne de mort, le terme au-delà duquel aucun article n’est accepté par le journal. En dehors de son environnement sémantique, le mot est comme un poisson hors de l’eau. Le même sort est réservé au mot « sexy » dans le jargon journalistique. Devinez la stupeur d’une connaissance m’ayant entendu dire que « le texte n’est pas sexy » ! Un texte pas sexy est un texte qui n’accroche pas. Fade, sans style et sans relief ! N’imaginez pas une créature sexuellement attirante dans le style sex-appeal. Ce n’est pas une invitation à une « attaque » au sens commun du terme, mais au terme journalistique qui renvoie à l’entame accrocheuse d’un sujet. Si le sujet est bien traité, le rédacteur en chef ou le chef d’édition peut dire, avec l’aide d’un technicien : « Balancez ! » C’est validé, cela peut être diffusé ou publié. Vite, pour ne pas être en charrette, pour dire « lent ». Propos stigmatisant pour ceux qui vivent de ce mode de transport. Quelquefois, c’est une question de tempérament. Sur ce point, deux polémiques du Président Sarkozy nous donnent matière à réflexion. Au Salon international de l’Agriculture de Paris en 2008, à un participant qui refusait de lui serrer la main et qui lui a dit « Ah non, touche-moi pas ! Tu me salis ! », l’ancien président de la République a dit : « Casse-toi, pauvre con ! » Puis, face à la révolte des jeunes, le ministre de l’Intérieur a prononcé une phrase polémique en 2005 : « Dès demain, on va nettoyer la Cité des 4000 au kärcher ». Ce mot désigne un nettoyeur haute pression de la marque éponyme. Une certaine opinion fut en émoi. On connaît la formule d’Albert Camus : « mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde ». Un mot mal choisi, une expression trop rugueuse ou un humour raté peuvent être blessants pour l’interlocuteur. Ce n’est pas un éloge de l’hypocrisie. Non… Non ! La société, en corrompant notre part d’animalité, nous apprend à lisser les mots et les choses pour les rendre plus agréables à l’oreille dans leur vérité mais pas dans leur nudité, comme la musique dans sa définition basique. N’est-ce pas qu’en wolof traduit, la communauté nous apprend à « habiller » le verbe ? Nous ne lui mettrons pas une camisole de force. Nous lui mettrons juste un pagne… de bienséance et de pudeur !