Lorsque les bonnes informations sur les connaissances et les expériences d’adaptation aux changements climatiques sont partagées, elles deviennent alors un puissant outil de changement positif au service de la lutte contre les impacts liés aux changements et à la variabilité qui aggravent déjà beaucoup les défis lies à la sécurité alimentaire et aux subsistances durables des communautés vulnérables.
Cette question a été avec celle de la participation communautaire dans l’apprentissage et le partage des connaissances, au cœur des débats du Colloque organisé par Socodevi sur les écosystèmes de mangroves. Et notamment lors des discussions qui ont suivi la communication présentant les résultats de l’ étude réalisée par le Pr Malick Diouf de l’université Cheikh Anta DIOP de Dakar et coordonnateur du Collège scientifique de la Gaspégie et des îles et sa jeune collègue Dr Sanou Ndour sur “les savoirs endogènes et expressions culturelles sacrées en matière de gestion des mangroves dans les Deltas du Sine-Saloum et de la Casamance, Sénégal”… Travail important de recherche-action sur le terrain qui a montré “ l’existence d’un système de zonage traditionnel” en lien étroit avec le sacré qui montre comment “des formes d’exploitation et d’accès dans les mangroves persistent malgré les effets de la colonisation, de l’avènement des religions révélées, et contribuent grandement à la conservation de la biodiversité.”
Ces dispositifs s’accompagnent du rôle pregnant des femmes dans “ le rôle de protection de la culture jumelée à l’environnement, les organisations de femmes constituent les centres névralgiques et stratégiques en même temps” comme les deux chercheurs l’ont observé dans les bolongs ( sites de mangroves composés de vasières et de nurseries) sacrés du Keuweuy et du Sidjenor dans le Mboulomp dans les îles de l’estuaire de la Casamance et dans les sites natés de Bitenty dans le Delta du Saloum. Mais aussi à travers les sacrilisés et redoutés (figures thériomorphes) comme celle de Ewoum (reincarnation d’une grande divinité matérialisée par un totem) dans dans l Aire de patrimoine communautaire (Apac) de Kawawana. Ou celle des hyènes du Diakhanor dans l’archipel estuarien du Delta du saloum…
Autant d’épisodes en liens profonds avec le sacré qui rappellent une autre histoire racontée par le grand socio-anthropologue, le regretté Abdou Ndukur Kacc Ndao, intraitable habitué des lieux d’implantation des fétiches qui sont des réservoirs de serpents ( Certains fétiches, explique t-il ayant comme totems ces serpents ) sur les graines de haricots antidotes à la morsure des serpents” qui lui ont été offertes par un vieil ami seereer qui, ayant observé “son insouciance légendaire dans ces herbes hautes parfois au pied d’un de nos grands places préférés contiguës à un grand fétiche très arboré d’Oussouye.
Et Ndukur d’en conclure que tous ces phénomènes sont identifiables à des “instruments symboliques et magico-religieux sont unanimement jugés absolument efficaces au plan préventif et participent depuis des siècles de l’invention de supports endogènes adaptés aux configurations physiques et environnementales des villages. Cela ne relève pas de mythes mais d’expériences éprouvées sur fond de secrets souvent jalousement gardés. C’est pourquoi je suis un fervent partisan de l’universalité de la science et de la spécificité des savoir dits endogènes. Pour produire du sens il faut envisager tout ceci dans leur cohérence interne et dans le respect épistémologique et épistémique dû à chaque système de production de valeurs, de connaissances et de savoir ».
La dimension symbolique reconnue comme quelque chose d’essentiel dans l’imaginaire collectif des communautés plurielles de la Casamance maritime et les populations « Niominka » (les pêcheurs Sereer des îles du Saloum et des environs) explique sans nul doute le grand engouement manifesté par celles-ci, chaque fois qu’il est question de lutter pour la sauvegarde de l’environnement. Elle donne aussi à comprendre sur le pourquoi de leur adhésion totale à toutes les initiatives visant à préserver leur écosystème de toutes les formes de prédation. Ce paradigme important avait amené l’historien et militant africaniste burkinabé Joseph Kizerbo à regretter « que les spécialistes des sciences sociales, les artistes, les cinéastes n’exploitent pas à sa juste valeur le potentiel d’ébranlement intellectuel et émotionnel dont sont chargés les mythes, les récits d’origine et les cosmogonies qui sont d’une richesse prodigieuse ».
L’argument du Professeur Kizerbo étant étayé par l’existence, presque partout en Afrique, des ressorts anthropologiques extraordinaires permettant aux africains d’anticiper, d’éviter ou de régler les conflits éventuels entre les individus et les groupes : la parenté à plaisanterie, les modèles communautaires de gestion de l’espace et des ressources en dehors de toute occurrence de conflits comme la « Dinah » de Ahmadou Cheikhou Oumar Foutiyou Tall. Ou encore ces cosmogonies écologistes en vigueur presque partout dans le continent, respectueuses, toutes des équilibres nécessaires entre l’Homme et son milieu naturel. L’historien étant, sur ce registre précis, bien en phase avec d’autres nombreux chercheurs ( de Paul Pellissier, il y a plusieurs décennies jusqu’au Révérend Père Henry Gravrand, l’auteur des deux monumentaux ouvrages « Cosaan » et de « Pangol », en passant par Marguerite Dupire) qui ont noté le soin apporté par les autochtones de ces terroirs ancestraux ( Casamance maritime et le Siin qui se confond au royaume senghorien de l’enfance), à la préservation de leur environnement animal et végétal. Ce qui montre, ainsi, toute l’urgence à valoriser les savoirs locaux et des pratiques endogènes ancestrales relatives aux relations entretenues depuis la nuit des temps entre ces communautés autochtones et leur milieu de vie.
Chronique environnementale de Moustapha SÈNE