Donald Trump a franchi le Rubicon. Celui qui se présentait comme l’artisan autoproclamé du retour de la paix vient de se muer en pyromane. En engageant les États-Unis dans un conflit ouvert avec l’Iran, le président américain entraîne son pays dans une aventure aux conséquences potentiellement désastreuses, tant pour son propre peuple que pour le reste du monde. Toutefois, cette action militaire n’est pas une surprise. Elle était attendue. Seuls restaient en suspens le moment et la manière. Et c’est avec un mélange de fierté et de défi que Trump a annoncé avoir ordonné des frappes sur les sites nucléaires iraniens, menaçant même de nouvelles attaques si Téhéran ne « cherche pas la paix ». Le cynisme le dispute à l’arrogance : l’Iran est attaqué, mais c’est à lui aussi de chercher la paix. L’objectif est clair : faire plier l’Iran, l’amener à abdiquer. Mais c’est mal connaître la République islamique. Si elle avait besoin d’un argument supplémentaire, d’une motivation en plus pour poursuivre son programme nucléaire et résister, Washington vient de le lui fournir. L’intervention américaine révèle aussi les limites de la puissance militaire israélienne. Sans le soutien des États-Unis, Israël n’aurait peut-être pas tenu dans une guerre d’usure. La réaction enthousiaste de Benyamin Netanyahou à l’annonce des frappes américaines le confirme : Israël était dos au mur. Car, contrairement aux attentes, l’Iran n’est pas resté passif. Il a répondu avec une force que peu anticipaient. Le célèbre « Dôme de fer » israélien a été partiellement mis en échec par des missiles iraniens, révélant une faille stratégique qui a pris de court l’état-major israélien. Si la supériorité militaire d’Israël reste indéniable, la détermination iranienne, elle, est impressionnante. L’histoire le montre : le peuple perse est résilient. Malgré des décennies de sanctions et d’isolement, l’Iran a su développer une industrie militaire crédible. Il pourrait être vaincu sur le terrain, mais il n’abdiquera pas. Ni la Russie en Afghanistan, ni les États-Unis au Vietnam, ni la France en Indochine n’ont pu briser des peuples résolus. Et c’est déjà, pour l’Iran, une forme de victoire. Israël a peut-être cru pouvoir imposer une issue rapide, comme lors de la guerre des Six Jours en 1967, quand, en moins d’une semaine, il a vaincu les armées de l’Égypte, de la Syrie, de la Jordanie et de l’Irak. Mais cette fois, le scénario est tout autre. L’Iran n’est pas un petit adversaire, et les temps ont changé.
Le fil rouge de cette guerre déclarée par Israël et désormais par les États-Unis est toujours le même : empêcher l’Iran de se doter de la bombe. Un leitmotiv répété à l’envi par les chancelleries occidentales. Il justifie pressions diplomatiques, sanctions économiques et désormais frappes militaires, avec la complicité de l’Aiea — et dire qu’elle fut Prix Nobel de la paix en 2005 !
Mais une question demeure : au nom de quel principe un État souverain n’aurait-il pas le droit de se doter de l’armement de son choix, comme les puissances qui s’y opposent ? Les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, Israël… Tous possèdent l’arme nucléaire. Et tous défendent une forme d’exception : chez eux, la bombe serait un gage de stabilité ; chez d’autres, une menace. Derrière cette posture se cache un vieux réflexe : celui de la méfiance envers les pays non occidentaux, jugés incapables de discernement, de retenue et de rationalité. Ce préjugé, profondément européocentriste, classe les peuples selon une supposée maturité politique. Pourtant, à ce jour, un seul pays a utilisé l’arme nucléaire dans un conflit : les États-Unis. À chacun d’en tirer ses conclusions.
Enfin, une vérité historique souvent oubliée mérite d’être rappelée. Les plus grands persécuteurs des juifs, au cours des siècles, ne furent pas les peuples arabes, mais bien les Européens : de l’Inquisition à la Shoah en passant par les pogroms. Aujourd’hui, cette culpabilité semble conduire certaines puissances occidentales à tout excuser à Israël — y compris des violations répétées du droit international. Cette indulgence à géométrie variable se fait au détriment d’autres peuples, comme celui de Gaza, aujourd’hui victime d’un conflit d’une violence extrême. Quand on justifie une guerre préventive, qu’on tolère les bombardements de civils et qu’on applique des règles différentes selon les États, on mine l’universalité du droit international. Et, avec elle, sa crédibilité.
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