Au détour d’une ruelle de la via Domenico Scarlatti, dans le quartier de Milan-Centrale, elle apparaît comme une pleine lune, avec ses fards et ses défauts. La quarantaine bien entamée, Maguette vit en Italie « depuis plusieurs années », évacue-t-elle par coquetterie.
Majestueuse, cheveux afro au vent, vêtue d’un sweat de sport, baskets aux pieds, le tout en noir. Une sorte de Woman in Black, héroïne d’une vie bousculée par un destin façonné par les aléas, entre bonds et rebonds. Un abécédaire d’existence où les majuscules côtoient les minuscules, souvent en sol mineur. Mariée très tôt à « un homme exquis, qui n’avait d’autre projet que de la rendre heureuse avec ses deux enfants », elle mène d’abord une vie paisible, sans ombrage, digne d’un décor de La Petite Maison dans la prairie. Jusqu’au jour où tout bascule, au décès brutal de « l’homme exquis », emporté à seulement 37 ans. De cette existence douce, dans le quartier dakarois de la Zone A, Maguette glisse en zone B. Tout change.
L’argent vient à manquer. Les amitiés se raréfient. La solide famille se disloque à l’évocation d’un héritage disputé par ceux qui se proclament ayants droit : femme et enfants. « Cela fait vingt ans que mon époux est parti, et son testament n’a toujours pas été exécuté, comme le recommande notre religion, l’islam », confie-t-elle, la voix tremblante. Après avoir « tiré le diable par la queue » en multipliant les petits boulots, jusqu’en Gambie, elle finit par choisir l’exil pour les anges du paradis. Lasse de Brikama et Banjul, Maguette mise sur l’as : l’Italie, terre de Dante Alighieri. Dans les années 1980-1990, ce pays était perçu comme un eldorado par nombre de Sénégalais peu diplômés, mais riches d’ambitions et armés d’un visa dûment validé (ou pas). Des atouts, certes. Des obstacles, régulièrement certains. « Je me lève à 5 heures du matin pour aller travailler dans un restaurant où je suis cheffe. Mes journées sont interminables, mais c’est pour l’éducation de mes deux enfants. »
Pourtant, Maguette est prête à d’autres sacrifices : contribuer au développement de son pays. L’appel du Premier ministre Ousmane Sonko aux Diaspora Bonds, lancé le 13 septembre dernier à Monza, a trouvé en elle une oreille attentive et un cœur décidé. Cet appel public à l’épargne vise à financer l’économie sénégalaise et à préserver notre souveraineté face aux institutions internationales, dont les prêts s’accompagnent toujours de lourds intérêts. Depuis ce 13 septembre, j’ai rencontré d’autres Maguette, des Amadou, des Fatou et des Modou. Dignes représentants de la diaspora, ils forment un agrégat d’individus aux intérêts et aux points de vue différents, mais liés par un même fil : œuvrer pour le bien de la terre d’origine, le Sénégal. Historiquement, le pays a toujours compté sur ses fils et filles de l’extérieur.
Prenons l’exemple de l’Occident : Jean-Baptiste Belley, né esclave à Gorée au milieu du 18e siècle, affranchi, devient un acteur majeur de la révolte menée par Toussaint Louverture à Saint-Domingue, devenue Haïti. Inspiré par les idéaux de la Révolution française, il milite à la Convention pour l’abolition de l’esclavage. En février 1794, son souhait est exaucé. L’esclavage sera rétabli par Napoléon en 1802, mais le travail de Jean-Baptiste Belley fut primordial pour la liberté des siens. Depuis, d’autres figures de la diaspora ont pris le relais pour le bien-être des Sénégalais : Cheikh Anta Diop, Léopold Sédar Senghor, Lamine Guèye, Raoul Diagne, fils de Blaise, sélectionneur des Lions du football et tant d’anonymes comme Maguette, qui œuvrent chaque jour pour le Sénégal. Pour les Diaspora Bonds, ils ont des exigences simples : des garanties et une transparence. Que l’argent investi serve réellement le pays et ne soit jamais perdu.
moussa.diop@lesoleil.sn