Des termes « dividendes » et « développement durable », on en a entendu beaucoup parler dans la région aurifère de Kédougou qui a célébré ce 11 juillet 2025 la Journée mondiale de la Population. Et notamment lors du panel scientifique organisé ce 10 juillet 2025, en marge de cette journée où il est ressorti qu’avec une population jeune et un taux brut de natalité parmi les plus élevés du Sénégal (40,1 ‰ en 2023), la région de Kédougou présente un potentiel humain immense. Et qu’il existe les défis majeurs liés à un rapport de dépendance démographique élevé (environ 80 dépendants pour 100 actifs) et un taux de Neet (Ni en emploi, ni en études, ni en formation) alarmant de près de 60 % chez les 15-24 ans.
Ces deux expressions, on en a encore parlé (et la surchauffe terminologique ne s’est pas encore estompée) quand il a été annoncé la contribution d’environ 1,6 milliard de FCfa, débloquée en 2024 pour soutenir les populations dans leurs projets, à l’occasion de la présentation, quelques jours auparavant mais dans la même semaine, par le Directeur général de Sabodala Gold Operation (SGO), du Rapport sur le développement durable 2024 d’Endeavour Mining dont il est également le Vice-président chargé des affaires publiques pour le Sénégal, le Mali et la Guinée. Et qui a indiqué que la SGO qui emploie dans la mine du même nom 2 700 personnes (dont 95 % de Sénégalais et 9 % de femmes, incluant des emplois directs et indirects) a contribué aux caisses de l’État à hauteur de 116 milliards de francs CFA, soit 16 milliards de moins que l’année précédente ; sur un chiffre d’affaires de 337 milliards de francs CFA « dont 90 % ont été dépensés au Sénégal » correspondant à une production de 229 000 onces, soit environ 7 tonnes (« 22 % de moins que ce qui a été produit l’année dernière »).
Ce bilan 2024 de l’exploitation de l’or par Sabodala Gold Operation sur le site minier éponyme n’est pas sans liens avec la dynamique démographique singulière de Kédougou qui, selon le Chef de service régional de la Statistique et de la Démographie M. Talla Awa DIOP est marquée par « la migration des jeunes, fortement liée à l’orpaillage et qui a été identifiée comme un facteur central ». Car si cette migration juvénile apporte une main-d’œuvre, « elle pèse aussi lourdement sur les services sociaux déjà fragiles et expose les populations à des conditions de vie précaires ».
L’alternative à cela, proposée par les experts démographes, au-delà de l’appel urgent porté par le Ministre de l’Éducation nationale de la promotion d’une éducation de qualité, d’une formation professionnelle adaptée et d’un accès renforcé aux services de santé (notamment en santé reproductive, face à un Indice synthétique de fécondité-Isf-de 6,4 enfants par femme en 2017) c’est : le nécessaire recentrage des investissements ciblés dans le capital humain, la diversification économique au-delà du secteur minier, et à une meilleure gestion des flux migratoires.
Les chiffres du rapport de Endeavour mining tout comme la tenue quasi-concomitante à Kédougou de la Journée mondiale de la population autour du thème du dividende démographique montrent à suffisance que Sabodala reste encore et pour plusieurs raisons, un cas d’école. D’abord pour ce qu’il constitue comme site pionnier abritant le premier grand projet d’exploitation industrielle de l’or au Sénégal. Où l’arrivée sans cesse croissante, dans la zone aurifère, d’une main-d’œuvre allochtone risque d’exacerber les frustrations de jeunes locaux demandeurs d’emplois (souvent sans qualifications requises) ; et occasionner malheureusement des manifestions parfois violentes comme en témoignent les évènements tragiques rapportés par l’expert-chercheur Mamadou L. Diallo dans un article du site EchoGéeo oublié en en 2009 : « Le 23 décembre 2008, une violente manifestation fut organisée par les jeunes habitants de Kédougou. Le bilan humain et matériel des évènements est lourd : un mort par balle du côté des civils, plusieurs blessés, une trentaine de manifestants arrêtés, des édifices publics (préfecture, mairie, tribunal) saccagés, des dossiers officiels brulés ». L’analyse que fait ce chercheur de cet épisode de triste mémoire est sans appel : « le sentiment de l’insuffisance des retombées minières du projet minier de Sabodala était à l’origine de cette révolte ».
Sobodala est également un cas d’école pour les leçons à tirer des impacts pluriels qu’a créés le rush vers ce nouvel Eldorado, effectué dans le contexte particulier de 2009 où l’expérience de l’État du Sénégal en matière de gouvernance des ressources extractives était encore embryonnaire. Autant d’éléments confortés par les chercheurs du Laboratoire LARTES de l’Université Cheikh Anta Diop pour qui : « l’exploitation minière engendre également, de façon intrinsèque, des impacts négatifs importants ». Et que l’expérience a montré ailleurs, l’usage de produits chimiques (cyanure et le mercure) peut engendrer des ravages écologiques considérables comme la pollution des sources d’approvisionnement en eau, la contamination des terres cultivables, la mise en danger de la santé des travailleurs et des communautés minières »… Toute une kyrielle de risques mis en évidence dans un rapport d’analyse diagnostique commandité par l’organisation « La Lumière » (basée à Tambacounda) ; document dans lequel est signalé le cas d’une compagnie minière junior qui, en 2003, « avait pollué aux métaux lourds le fleuve Kérékonko, menaçant la vie de centaines de villageois qui dépendent de cette source pour leur approvisionnement en eau potable. »