Le masque est tombé. Un visage s’affiche désormais derrière le nom. Jusqu’ici, l’homme n’était qu’une silhouette anonyme, dissimulée sous le célèbre masque de Guy Fawkes – popularisé par la bande dessinée V pour Vendetta et repris par les hacktivistes d’Anonymous comme symbole de rébellion et de liberté d’expression. Mais dans ce cas précis, ce déguisement emblématique ne servait pas un combat idéologique : il brouillait simplement les pistes dans une entreprise de chantage à la sextape digne de Kompromat.
Derrière le masque, donc, un homme aux deux visages. Sur l’un des clichés : cheveux hirsutes, mine patibulaire. Un type rondelet, imberbe, au regard grave, figé dans une posture d’inculpé. Sur l’autre : crâne rasé, sourire franc, barbe fournie, lunettes bien ajustées. Un visage affiné, presque celui du gendre idéal à qui l’on donnerait le bon Dieu… sur un disque dur. Deux images radicalement opposées. Deux identités en tension, en conflit intérieur. La double vie d’Elhadji Babacar Dioum, alias Kocc, prend ici tout son sens. Un véritable cas de Docteur Jekyll et Mister Hyde, version sénégalaise.
À l’annonce de son arrestation, les spéculations ont fusé. En l’absence de portrait officiel, chacun s’imaginait son propre Kocc. Les fausses alertes se sont multipliées, devenant parfois des blagues entre amis : tel ou tel homme exposé à tort dans une confusion savamment entretenue. Lorsque les véritables photos ont circulé, le choc chez ceux qui le connaissaient fut grand. Preuve, s’il en fallait, d’une double vie parfaitement orchestrée. C’est que Dioum a longtemps brouillé les pistes grâce à des outils technologiques, prenant souvent une longueur d’avance sur les enquêteurs. Mais il a péché par excès de confiance, et surtout par manque de sagesse – celle que prônait le véritable Kocc : « Djiguen sopal té boul woolou ». Il aurait dû en faire une adaptation : « Technologie soppal té boul wolou ». En effet, dans une interview accordée à Pressafrik en 2019, Dioum fanfaronnait, se disant insaisissable, moquant l’archaïsme des enquêteurs et prétendant avoir infiltré leurs systèmes informatiques. La « revanche » policière est foudroyante.
Elhadji Babacar Dioum se voyait en Robin des Bois numérique, en moraliste des temps modernes, en Zorro digital. Mais on n’éveille pas les consciences en humiliant, en exposant la nudité des gens au grand jour. Dans cette fameuse interview, il tentait de justifier ses actes par une mise en garde : « Ne jamais, en aucune circonstance, vous faire filmer… ». Mais la vérité est ailleurs : les gens sont libres de disposer de leur intimité comme ils l’entendent, entre quatre murs. La violer pour en tirer profit n’en est pas moins immoral. C’est même pire. Car ce qui motive Dioum, ce n’est ni l’éthique, ni l’honneur, mais le gain, l’argent facile, avec le sexe en toile de fond. De la cupidité, dissimulée sous un vernis de vertu. De ce point de vue, Dioum alias Kocc n’a rien à voir avec l’illustre Kocc Barma, philosophe wolof dont les maximes ont traversé les siècles. Adopter ce pseudonyme, c’est revendiquer ses idéaux, c’est prétendre les incarner. Or ici, le fossé est abyssal. Kocc Barma était un penseur visionnaire, ancré dans la sagesse populaire. Dioum, lui, en est l’antithèse. Là où l’un éclairait les esprits, l’autre les pervertit. Il n’aura réussi qu’à souiller un nom : celui d’un sage devenu, malgré lui, synonyme de licence, de chantage sexuel, d’extorsion, d’humiliation. Il a même réussi l’exploit tragique de reléguer au second plan le véritable Kocc Barma dans les résultats des moteurs de recherche : aujourd’hui, taper « Kocc » donne huit résultats sur dix qui renvoient à Dioum. La technologie au service du mal.
De l’au-delà, Birima Maxuréja Demba Xoré Fall doit sûrement s’arracher ce qu’il lui reste de ses fameuses touffes de cheveux.
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