Dans un passé très récent, la défense de la démocratie et des droits de l’Homme était brandie par les puissances occidentales pour justifier des interventions militaires ayant entrainé des millions de morts et le renversement de régimes jugés autocratiques (Afghanistan, Irak, Libye). Les arguments invoqués, notamment par les néoconservateurs américains, étaient la libération des femmes musulmanes et des populations opprimées dans ces pays. Bref, le respect des droits de l’Homme. Cette époque semble révolue. Non pas que les interventions militaires ont cessé. Loin de là. Comme en témoigne la récente attaque militaire israélo-américaine contre l’Iran. Mais les raisons évoquées ont changé. Plus question de mener des guerres au nom de la femme musulmane ou des populations opprimées par des dictatures sanguinaires. Le discours est devenu décomplexé. On ne s’entoure plus de considérations morales. Désormais, l’hégémonie occidentale n’a plus besoin de son masque idéologique. La défense des intérêts nationaux et la loi du plus fort suffisent comme arguments. On ne va pas regretter la fin de l’instrumentalisation de ces valeurs (la démocratie et les droits de l’Homme) pour maintenir l’hégémonie occidentale et l’imposition d’agendas cachés. Même si, l’épouvantail des sanctions pour violations massives de ces droits avait le mérite de maintenir la pression sur les régimes autoritaires.
Ce changement de ton semble avoir surpris certains observateurs, déçus que l’Occident ne fasse plus du respect des droits de l’Homme une exigence dans sa coopération avec les pays africains. À l’opposé, les dictateurs tropicaux exultent. Mais à y regarder de plus près, rien n’a fondamentalement changé. Comme l’a montré le philosophe sénégalais Thierno Diop dans son ouvrage intitulé « Démocratie et droits de l’homme : Nouveaux pièges pour l’Afrique » (L’Harmattan Sénégal, 2021, 157 p.), les droits de l’Homme ne concernent pas un homme abstrait. « Ils sont d’abord le produit de la lutte sanglante de la bourgeoisie contre l’ordre féodal pour créer les conditions favorables à la naissance et au développement du capitalisme. En tant que tels, ils ont joué un rôle progressiste quoiqu’ils fussent d’abord circonscrits à l’Europe », écrit-il. Mais même dans leur berceau historique (l’Europe), le champ d’application de ces droits était restreint comme le prouvent la situation des femmes privées de droits pendant longtemps et le sort réservé aux juifs dans l’Allemagne hitlérienne. Hors d’Europe, les puissances coloniales ont refusé, pendant longtemps, le qualificatif humain à des peuples soumis au génocide, à l’esclavage, aux travaux forcés et à la répression.
Aujourd’hui, les méthodes de domination ont changé. Mais le double standard demeure. La vie d’un Européen ou d’un Américain n’a pas la même valeur que celle d’un Africain. La communauté dite internationale a condamné, à juste titre, le massacre de civils israéliens par le Hamas le 7 octobre 2023, mais s’accommode des 60.000 victimes palestiniennes. Même les images insoutenables de la famine à Gaza ne semblent pas avoir créé l’onde de choc escomptée. À l’échelle des valeurs occidentales, l’obligation de respect des droits de l’Homme se mesure à la couleur de la peau ou à la proximité géographique, idéologique voire religieuse. Ce double standard est de plus en plus dénoncé dans le Sud global. Mais cette dénonciation n’aura de sens que lorsque nos pays accorderont aux droits de leurs citoyens la même importance qu’y accorde l’Occident. Car il faut bien l’admettre, dans beaucoup de pays africains, le respect des droits de l’Homme est parfois très variable en fonction du groupe politique, voire de l’ethnie ou de la religion. Parfois, les droits les plus élémentaires sont piétinés. C’est ce double standard à l’envers qui fragilise toute la rhétorique contre l’Occident.
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