Honorable. Se dit d’une personne « qui par sa conduite, ses actions conformes à une norme valorisée socialement est digne d’estime, de considération, de respect ». Ce titre conféré aux députés sénégalais dépasse la simple courtoisie : il incarne, ici, une reconnaissance de leur rôle dans la représentation populaire et la construction du débat démocratique. Ce qualificatif, symbole de distinction et de responsabilité, trace une frontière entre le citoyen ordinaire et les députés chargés de porter sa voix au sommet de l’État. Une lourde charge donc. L’installation solennelle d’une législature marque souvent un tournant significatif dans l’histoire parlementaire de notre pays. La séance d’hier n’a pas failli à la tradition. Le Pastef, après avoir brillamment remporté la présidentielle dès le premier tour en mars 2024, dispose désormais d’une majorité parlementaire sans équivoque. Et en toute logique, un de ses éminents responsables, El Malick Ndiaye, a été élu au perchoir, faisant de lui la deuxième personnalité de l’Etat au plan protocolaire. Mais cette emprise est grosse autant de promesses que de périls, exigeant de ce nouvel hémicycle une vigilance sans faille pour éviter les travers du passé.
Pendant trop longtemps, l’Assemblée nationale a, en effet, été perçue comme une simple chambre d’enregistrement, avec des prurits de violence ces dernières années, réduisant la délibération parlementaire à une formalité où les desiderata de l’Exécutif se transformaient en lois quasi mécaniquement. Cette perception, nourrie par une pratique de la majorité systématique, – d’autres disent « mécanique » – a souvent vidé de sa substance l’essence même du parlement : la confrontation d’idées, la pluralité des points de vue, et la quête d’un consensus qui transcende les clivages partisans, avec la défense des intérêts des populations comme bréviaire.
Pastef, fort de sa majorité qualifiée, a désormais les moyens d’engager des réformes profondes, notamment constitutionnelles. Mais cette puissance doit être employée avec retenue et responsabilité, sous peine de retomber dans le piège d’une législation dictée d’en haut, sans le souffle des débats enrichissants et contradictoires. Mais ne jamais oublier aussi qu’une majorité ne s’use que si l’on ne s’en sert pas….
La victoire éclatante de Pastef aux législatives repose sur un immense espoir populaire. Déjà, via les urnes, un reprofilage a eu lieu : le Parlement est plus jeune, les catégories sociales mieux représentées dans leur diversité. Ce même espoir, il convient de le transformer en changements. Les Sénégalais n’ont pas seulement exprimé un vote d’adhésion lors de ce scrutin ; elles ont formulé un appel urgent pour des réponses aux défis cruciaux de leur quotidien : le coût de la vie, le premier emploi, la sécurité publique, l’accès à une éducation de qualité, la lutte contre la précarité économique, la réforme d’un système de santé encore trop fragile.
Ces aspirations imposent aux députés une double obligation : être à la hauteur des exigences techniques des grands dossiers de la nation et rester en prise avec les réalités locales. Trop souvent, les députés se sont enfermés dans des débats abscons, déconnectés des préoccupations des électeurs, ce qui avait du reste fait transformé le slogan « la patrie avant le parti » en « le parti avant la patrie » . Cette fois, le mandat semble être clair au regard des « demandes » électorales : rupture. Rupture dans la manière d’être, rupture dans la manière de faire, dans la manière d’appréhender les projets de loi et les diverses initiatives parlementaires qui les engageront…
Notre démocratie s’enrichit des tensions qu’elle parvient à sublimer, la gestion de nos transitions électorales le prouve. Dans cette nouvelle législature, il revient à l’Assemblée nationale de redevenir un forum vivant, où chaque voix, qu’elle soit portée par la majorité ou par l’opposition, trouve sa juste place. L’ère qui s’ouvre devant nous regorge de promesses et de défis. Si les nouveaux députés embrassent pleinement leurs responsabilités, cette législature pourrait marquer le renouveau parlementaire tant attendu. Pastef, en consolidant sa victoire, porte aussi la charge d’un idéal : celui d’une gouvernance exemplaire, soucieuse des besoins immédiats et des ambitions de long terme.
Le pouvoir législatif, pilier de toute démocratie, doit se réinventer pour répondre aux attentes de ceux qui l’ont confié à leurs représentants. Plus que jamais, l’Assemblée nationale doit être un miroir des aspirations de la nation, un catalyseur d’idées neuves et un rempart contre les atteintes à la démocratie. À ce prix, elle pourra prétendre être non seulement une instance législative, mais aussi le lieu par excellence où s’écrit l’avenir collectif.
Par Samboudian Kamara