Le directeur du Grand Théâtre a finalement annulé sa fameuse note interdisant la dépigmentation, le greffage et le port de perruques. Sans doute sur pression de sa hiérarchie. Mais surtout après la bronca indignée de lobbies féministes et une clameur désapprobatrice sur les réseaux sociaux. Notre consœur Henriette Niang Kandé dira qu’il (le Dg Serigne Fall Guèye) « a compris qu’il nageait à contre-courant, sans bouée et sans shampoing ».
Rarement note de service n’a suscité un tel tollé tant les critiques ont été acerbes et unanimes contre M. Guèye. Artiste, rappeur, certains pensent que le pouvoir lui serait monté à la tête pour oser une telle note pas du tout conforme à la loi. Arguant d’une certaine authenticité et souveraineté africaine. Il faut dire que même ses voisins du Musée des Civilisations noires n’ont pas franchi le rubicond. D’où d’ailleurs les caricatures d’« Au théâtre ce soir » pour le railler. Il est évident qu’il n’aurait jamais dû sortir une note aussi sexiste et frisant une attaque contre la gent féminine.
La levée de boucliers qui s’en est suivie est très illustrative de la confusion et l’incompréhension de son rôle en tant que manager du Grand Théâtre. Bien au-delà de bonnes dames, ce sont des mâles qui ont pris, dans ce Sénégal où tout est urgence, la défense de ses cibles féminines. Il aura certainement appris à ses dépens et très certainement il ne s’amusera plus, à l’avenir, de prendre des actes de portée aussi grave sans y réfléchir très profondément. Ou même de les soumettre à sa hiérarchie. Il serait néanmoins intéressant d’examiner les interdits édictés à l’aune des motifs qu’il a évoqués.
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Dépigmentation ? Au peigne fin de l’africanité ou de la fierté noire, cette tendance de nombre de femmes se révèle à coup sûr comme une abomination ou une attitude lamentable. Mais le choix est d’abord individuel et semble obéir, pour de nombreuses femmes, à une volonté de plaire, de se montrer sous les traits d’une belle dame qui érige la clarté au rang de critère de beauté. Aidées en cela par cette propension de nombreux hommes d’avoir une préférence ou attirance pour les femmes de teint clair. Loin du « nioul kouk » synonyme de beauté d’ébène ou encore du « black and comely » (noir et fier).
Les canons de beauté étant, dans la plupart du temps, définis sur le modèle dominant occidental. La « xessalisation » à outrance traduit également une ignorance des risques sanitaires encourus. Mais surtout du déficit éducationnel. Le choix et la liberté individuels qu’ont les femmes (souvent aussi des hommes) de s’éclaircir la peau devraient être contrebalancés par une anticipation de l’État en interdisant toute importation ou commercialisation de produits de dépigmentation. Des interdictions combinées à des campagnes d’éducation et de sensibilisation pour alerter et prévenir contre les dangers d’une telle pratique.
Il n’est pas exagéré d’affirmer que le « xessal » est devenu un problème de santé publique. Le greffage et les perruques ont, dans la même logique, privé la femme africaine de l’authenticité de ses cheveux naturels, exception faite certainement de quelques raisons profondes comme le fait de pouvoir cacher une certaine chute due, par exemple, à la maladie ou des raisons d’ordre pratique. Sans jeter l’anathème sur qui que ce soit où sur celles qui font le choix de certaines pratiques, la trouvaille du directeur du Grand Théâtre, encore une fois malheureuse, se voulait révolutionnaire.
Il s’est malheureusement trompé de contexte. Son appel sonne comme une adhésion au message de « Peaux noirs, masques blancs », classique de la littérature négro-africaine sur l’identité noire et le colonialisme, l’esclavage, toute forme d’inhumanité et de soumission d’un homme à un autre. Vous aurez compris qu’il s’agit là de l’ouvrage majeur de Frantz Fanon dont le centenaire de la naissance sera célébré ce 20 juillet. Encore que Fanon, psychiatre et engagé pour la cause africaine, mettait, à l’instar de nombre de panafricanistes, la libération mentale au premier rang.
Alors, qu’en est-il du port de robes et de toges pour nos juges, magistrats, avocats, universitaires, autant de symboles importés et non indiqués sous nos tropiques ? Tout comme d’autres accessoires de beauté tels les cravates ou nœuds papillon dont raffole, à travers ses vidéos, le directeur du Grand Théâtre. Alors, la libération serait-elle dans le port. Alors, à nos « thiayas » !
Ibrahima Khaliloullah NDIAYE (ibrahimakhalil.ndiaye@lesoleil.sn)