Tristement drôle. La culture, en tant que secteur, est souvent perçue dans ses allures déguenillées. Elle est vue comme un microcosme farfelu en raison d’acteurs qui poussent à l’excès le trait baroque. Ces apparences, pensent ceux-là, sont un sceau d’agrément. Le style déjanté porterait caution à un prétendu statut d’artiste. Comme des cocus, ces individus sont bien souventes fois les seuls à ne pas connaître leur pitoyable absurdité. Tant ils ne maitrisent presque rien des codes qu’ils pensent promouvoir… Le postulat de la démarcation vestimentaire est de se distinguer.
Se distinguer, donc s’extraire de la masse. Se distinguer, spirituellement ou idéologiquement ; car chaque élément de l’armure artistique porte un propos qui fait sens et signature. Autrement, on s’offre niaisement en spectacle. Il ne s’est jamais agi et ne s’agira jamais d’un sot anticonformisme, en effet ! La frontière entre originalité et folie est ténue. De même que celle, même bien plus fine celle-là, entre génie et déraison. Entendons-nous bien, la saillie ne vise pas toutes les figures qui pourraient être illustratives. Oui, n’est décidément pas Joe Ouakam qui veut. Pour Issa Joe Ramangelissa Samb (1945-2017), le reflet d’apparence perturbé était une couverture. Un voile pour se détacher, ou se protéger, d’une société en conflit avec les vérités et les esthétiques de l’indulgence.
C’est d’ailleurs pour avoir brillamment décrypté et saisi son environnement que Joe Ouakam a su trouver les obscurités qui obstruent la raison des Hommes, avant de s’en tenir à bonne distance. Une marginalité bien pensée, enveloppante. Derrière son air loufoque qu’il exposait dans son Dakar et le monde, ou encore au siège du jury de l’Oscar des Vacances, se cachait une lumière que ne pouvait contenir l’exagérée ampoule de nos prétentions et de notre cuistrerie. Joe a écrit, Joe a rimé, Joe a peint, Joe a sculpté, Joe a dit (plus qu’il n’a parlé), Joe a agi avec art (Vive Agit’Art !), Joe a légué. Joe était porteur d’un acte créateur nouveau. Joe Ouakam, révolutionnaire, a agi pour se démarquer et faire se démarquer de la fameuse esthétique nègre et du parallélisme asymétrique chers à Senghor.
Pour Joe Ouakam, qui a aidé à définir et marquer une pensée africaine des arts, il ne devait plus être question que de l’École de Dakar et de son « travail orienté ». Joe avait fait sienne la « méthode paranoïaque-critique » (Salvador Dalí) avec grande sagesse dans le fond et sublime imagination satirique dans la forme. Grand philosophe, Joe Ouakam n’était compris que par une portion congrue. Non pas parce qu’il discriminait la masse, mais parce qu’il fallait une rare densité pour le percevoir.
Il s’adressait aux époques qui n’étaient encore pas. La méthode était d’instaurer une pléiade, qui porterait ensuite le prolongement d’une pensée et d’en assurer la pérennité. Le réseau « Huit Facettes », la Galerie TENQ et Agit’Art parlent pour le principe. Justement, c’est cela la culture (dans le sens politique). Tandis que les autres secteurs pensent urgence, elle, est patiente. Elle sème des graines, elle éduque des intelligences qui doivent transmettre sur plusieurs futures générations et transformer dans la sève. Ainsi donc, les révolutions culturelles, voire les réformes culturelles doivent être portées par des esprits avertis. Oui, « Pas d’enquête, pas de droit à la parole » (Mao).
Nous évoquions tantôt l’émission Oscar des Vacances. Nous trouvons dans la cessation de sa diffusion une explication de la mort de la partie culturelle des Asc (Associations sportives et culturelles). Ce plateau était un espace privilégié d’expression des artistes de quartiers. Mieux, c’était un objectif. Le Grand Théâtre national Doudou Ndiaye Coumba Rose, entre autres, pourrait faire tribune. Les artistes ne demandent que cela. Disposer d’un rendez-vous ou d’un espace pour performer et exposer les talents. Il ne suffit d’une infrastructure d’une belle gueule. Il faut impérativement ce qui semble pour nous un défaut infus : un contenu. Une politique culturelle.
Ce qui nous donne, en l’occurrence, un grand et beau théâtre sans pièces. Où l’administration est un bailleur qui loue à qui veut bien animer l’espace. Une infrastructure culturelle de cet acabit a le devoir de briller par la création, un contenu culturel rafraichissant et adhérent. Pourquoi ne pas ouvrir le temple aux metteurs de scène, dramaturges et comédiens ? Nul besoin d’un directeur-blason, encore que c’est pour une « identité » qui ne fait même pas le noyau de sa mission. L’habit ne fait pas la fonction. Le casting reflète cependant un hic plus malheureux : la petite idée sur la culture et sa considération caricaturale, autant par les cibles que par l’exécutif, depuis l’ère post-Senghor. Oui, il faut avoir fait ses humanités !