En janvier dernier, le nouveau régime a pris la décision d’aligner le statut des enseignants décisionnaires à celui de leurs camarades fonctionnaires. Même si les concernés disent toujours attendre, la décision suscite de l’espoir. Elle est, en effet, une avancée majeure, car d’après le secrétaire national du Syndicat des enseignants libres du Sénégal (Sels), Hamidou Diédhiou, elle concerne près « de 7000 enseignants ».
Elle vient surtout corriger une iniquité qui date de l’époque du premier président de la République, Léopold Sédar Senghor. Deux catégories avaient été alors créées : les titulaires (fonctionnaires) et les décisionnaires (non-fonctionnaires). Ces derniers, malgré la même charge de travail, la même rigueur professionnelle et même à diplôme égal, sont exclus des avantages statutaires et reçoivent aussi des pensions de retraite inférieures. Dans le passé, le Sénégal, faut-il le rappeler, a toujours pratiqué une politique de recrutement d’enseignants en tant que fonctionnaires (moniteurs, instituteurs adjoints et instituteurs) qui recevaient une formation d’au moins deux ans dans les Écoles normales régionales et exerçaient pendant deux ans comme stagiaires avant d’être confirmés à leurs postes. Mais, en 1984, le gouvernement a fait des recrutements directs, et de façon ponctuelle, d’enseignants non-fonctionnaires pour réduire le déficit.
Ces contractuels étaient qualifiés « d’ailes de dindes », en référence au fait que leur recrutement a eu lieu au moment où on observait un afflux d’ailes de dindes provenant de l’étranger sur le marché sénégalais. (Cf. Aliou Diop, « Politique de recrutement des enseignants non fonctionnaires et qualité de l’éducation de base au Sénégal : quels enseignements vers l’Éducation pour tous (Ept) ? », Économies et Finances. Université de Bourgogne ; Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal, 2011). Le système fut alors maintenu puisque « aux prises avec d’importants besoins de personnel enseignant, des ressources limitées et de la forte croissance de la population scolarisable, le Sénégal, à l’instar de nombreux pays d’Afrique subsaharienne francophone, choisit de rompre avec le modèle d’emploi des enseignants axé sur la carrière et dans lequel ceux du système public sont tous fonctionnaires ». (Cf. Revue internationale d’éducation de Sèvres, décembre 2023). Mais, si tant l’éducation est la priorité principale de l’État, pourquoi cette iniquité entre enseignants, « ces fonctionnaires les plus prestigieux », selon l’actuel chef de l’État sénégalais ? Dans un secteur aussi vital que l’éducation, une formation de qualité doit être imposée à tous les agents et aucune iniquité dans le traitement ne doit exister entre ceux d’un même corps. Ainsi, tous les enseignants deviendront de véritables « sentinelles du nouveau modèle éducatif sénégalais, en cours d’élaboration, pour bâtir une société à la hauteur des défis de notre temps et de l’avenir », comme l’a souhaité le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, en février dernier, lors de la cérémonie de remise du Grand Prix du chef de l’État pour l’enseignant (Cf. Aps, le 6 février 2025). Mieux, aucune réforme du système éducatif n’est possible avec des agents formés au rabais et non motivés. L’enseignant, cet agent qui forge les consciences citoyennes, doit être mieux formé et motivé, afin que le Sénégal puisse disposer d’un capital humain de qualité, capable de faire face aux rapides mutations d’un monde dominé par l’économie du savoir. Autant dire que ce corps « ô combien décisif dans l’œuvre de construction nationale », dixit le président de la République, doit être valorisé. Non pas seulement en matière de traitement salarial, mais aussi et surtout en matière de formation. Cette dichotomie entre membres d’un même corps est une aberration qu’il faut vite corriger. C’est à la fois une question de justice, d’équité, de respect et de considération. De plus, comme le rappelle Hamidou Diédhiou, la multiplicité des décisionnaires dans la Fonction publique entraîne un manque à gagner pour le Fonds national de Retraite (Fnr), parce qu’il y aura moins de cotisants.
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