Le bracelet électronique n’est pas un bijou, mais il scintille désormais à la cheville de quelques figures politiques. Pape Malick Ndour, inculpé dans l’affaire Prodac, en a hérité comme d’autres avant lui, parmi lesquels l’ancien garde des Sceaux Ismaïla Madior Fall ou, plus récemment, Lat Diop. Chacun à sa manière incarne cette étrange modernité judiciaire : ni libre, ni enfermé, mais sous surveillance.
Le bracelet, outil de désengorgement des prisons, devient dans l’imaginaire public un objet d’ambiguïté. Il intrigue, il amuse, il agace. Il raconte à la fois l’évolution d’un système pénitentiaire et la persistance d’une justice à deux vitesses. Sur le papier, la mesure est exemplaire. Elle répond à un besoin réel : les prisons sénégalaises débordent.
Les conditions de détention, souvent dénoncées, appellent des solutions nouvelles. Le bracelet électronique, censé permettre aux prévenus de purger leur peine à domicile, sous contrôle permanent, allège la charge des établissements pénitentiaires et humanise la sanction. Mais dans les faits, cette humanité semble surtout réservée à une certaine élite.
Le bracelet, dans l’esprit de beaucoup, n’est pas une sanction, mais un privilège. Il devient symbole de l’impunité douce, celle qui permet d’échapper au désarroi des cellules tout en gardant le vernis du statut. Les juristes rappellent qu’il s’agit d’une mesure de substitution, non d’un passe-droit. Mais le symbole est plus fort que le discours. Comme le disait le sociologue Pierre Bourdieu, « la perception sociale des choses est souvent plus vraie que leur définition juridique ».
Et dans le regard du public, le bracelet n’est pas un signe de sévérité, mais de mansuétude. Ce malentendu nourrit un malaise plus profond : celui du rapport entre justice et pouvoir. La technologie aurait pu être un instrument d’équité, elle devient le miroir d’un privilège. Chaque nouveau cas relance les débats. Faut-il y voir un progrès ou une ruse ?
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Un pas vers la modernité judiciaire ou un écran derrière lequel se cache la vieille habitude de ménager les puissants ? Pourtant, il serait injuste de rejeter la mesure en bloc. Dans un pays où la population carcérale ne cesse d’augmenter, où les prisons accueillent trois fois plus de détenus qu’elles ne peuvent en contenir, le bracelet représente une avancée indéniable. Il coûte moins cher à l’État, permet la réinsertion et préserve les liens familiaux.
Le problème n’est pas l’outil, mais son usage. Le jour où il sera appliqué à tous les profils, sans considération de statut, il deviendra un symbole de justice équilibrée. En attendant, la rue sénégalaise observe et commente. Sur les réseaux sociaux, on s’interroge. « Le bracelet électronique est-il la nouvelle parure du pouvoir ? » L’ironie fuse, les caricatures circulent. Dans un pays où l’humour est une forme de résistance, la technologie devient un sujet de moquerie collective. Certains y voient même un progrès paradoxal : pour une fois, la justice brille… mais au pied.
Les autorités assurent que la mesure s’étend déjà à d’autres détenus, sans distinction. Elles promettent une application plus large, plus juste. Mais la confiance, elle, reste fragile. Trop d’affaires ont montré combien la justice sénégalaise peine à s’émanciper des pressions politiques. Tant que le bracelet ne ceindra pas aussi les chevilles anonymes, il demeurera, pour beaucoup, l’emblème discret d’une justice qui pèse différemment, selon les noms.
Le bracelet électronique aurait pu être un pas vers l’égalité, il risque d’être perçu comme un pas de côté. Entre progrès technique et soupçon moral, il illustre le dilemme d’un pays en quête d’équilibre entre modernité et crédibilité. Comme le disait Voltaire, « il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent ».
Encore faut-il que le risque soit partagé, et non réservé à quelques-uns. Le Sénégal, qui aime à se présenter comme une démocratie exemplaire, ne peut se contenter d’une justice d’apparence. Libérer l’espace carcéral, oui, mais sans enfermer la confiance publique. Le bracelet électronique, outil de surveillance, est aussi un révélateur. Il ne mesure pas seulement les déplacements de ceux qui le portent. Il mesure, à sa manière, la distance entre l’idéal d’équité et la réalité du pouvoir.
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