Chez nous, Dieu est partout. Dans les bénédictions comme dans les règlements de comptes. Il devient témoin, juge et parfois exécuteur des sentences que nous prononçons en silence. Mais est-ce vraiment Lui qui prend parti ? Ou bien nos rancunes prennent-elles Sa place ?
Au Sénégal, et sans doute ailleurs en Afrique, nous avons cette curieuse manie de mêler Dieu à toutes nos affaires. Des querelles de voisinage aux disputes conjugales, en passant par les conflits professionnels ou les mésententes politiques, Il est toujours convoqué. Comme s’Il n’avait rien d’autre à faire. Mieux encore : nous sommes convaincus qu’Il prendrait parti. Et bien sûr, en notre faveur.
Quand deux époux se séparent, chacun guette le sort de l’autre comme une preuve divine. Que l’un tombe malade, perde son emploi ou ait un accident de voiture, l’autre s’écrie aussitôt : « Dieu ne dort pas. » L’un se félicite en silence, l’autre jubile bruyamment : « Je ne serais pas un Tel si ça ne lui arrivait pas ! »
Dans les bureaux, les chamailleries entre collègues tournent vite à la guerre sainte. Dès que l’un trébuche professionnellement, l’autre remercie Dieu à voix basse, et parfois à haute voix : « Il n’a encore rien vu. Dieu est juste ». Même dans les marchés ou les taxis, le nom de Dieu ponctue les récits de vengeance ordinaire. Tel mari infidèle ou polygame voit ses malheurs récents analysés à la lumière divine : « S’il m’avait bien gardée, il serait encore là aujourd’hui. » Et pour ponctuer cette justice céleste, deux « rakka » de prière sont offerts dans le secret de la nuit.
En politique comme dans les luttes syndicales, le limogeage d’un chef impopulaire devient preuve irréfutable que « Dieu existe. » Il a parlé, Il a tranché, Il a pris parti, forcément.
Chose étonnante : chacun, quelle que soit sa position, pense être du bon côté de Dieu. Et que celui qui s’oppose à lui finira tôt ou tard par voir. Parce que « Dieu n’aime pas les traîtres » – ce qu’il rappelle d’ailleurs souvent dans le Coran.
Mais une question demeure, presque hérétique :
Et si Dieu n’y était pour rien ?
Et si nos disputes, nos séparations, nos échecs ou nos promotions n’étaient que le fruit de nos propres choix, de notre libre arbitre ou, plus banalement encore, du hasard de la vie ?
Et si Dieu, au lieu de s’immiscer dans nos petites rancunes humaines, avait simplement mieux à faire ?
Car enfin, ne nous a-t-il pas déjà donné l’essentiel : une conscience, un sens moral, un destin ? Peut-être qu’Il nous laisse gérer le reste – nos humeurs, nos revanches, nos interprétations.
Mais cela, il faut bien le dire, nous arrange peu. Il est plus confortable de croire que Dieu arbitre nos querelles, distribue les châtiments à nos ennemis et valide nos ressentiments. Cela donne du sens à l’injustice qu’on subit… ou qu’on inflige.
Pourtant, à force de mêler Dieu à tout, ne risquons-nous pas de Le réduire à un simple témoin de nos mesquineries ?
Pire : un complice.
Alors que peut-être, dans son infinie sagesse, Il nous regarde juste… nous débrouiller.