La musique, parfois, est une prophétie. Dans son titre Hiro, Soprano ne chantait pas seulement un regret personnel ; il rêvait du pouvoir du personnage de fiction Hiro Nakamura : voyager dans le temps pour corriger les erreurs et saluer les disparus. Ce rêve, chanté par l’artiste, se matérialise aujourd’hui grâce à l’intelligence artificielle, pour des milliers d’internautes, notamment au Sénégal.
L’Ia est devenue un téléporteur visuel qui fige l’impossible. Si l’Histoire s’écrit souvent avec des larmes, elle y ajoute désormais des sourires en trompe-l’œil. Elle est le pinceau numérique qui repeint le regret en souvenir. Ce que nous observons sur les réseaux sociaux dépasse le simple jeu technologique : c’est une quête émotionnelle profonde que l’Ia rend tangible.
Le phénomène est d’abord celui de la proximité spirituelle. Des internautes se mettent en scène aux côtés de guides religieux ou de grandes figures spirituels, vivantes ou disparues. Ces images ne sont pas de simples illusions, mais une matérialisation de la dévotion : une manière de graver un héritage spirituel là où l’appareil photo avait manqué à l’appel. C’est une façon de remonter le temps pour réaliser un vœu : obtenir ce cliché avec l’être qui inspire. Plus bouleversant encore, l’usage pour les parents défunts. L’Ia, tel un photographe spectral, comble un vide immense. L’image créée n’est pas un substitut au deuil, mais une nouvelle forme de communion : un dernier portrait de famille où, l’espace d’un instant, la douleur du manque s’apaise dans la vision d’une proximité retrouvée. L’Ia ne ressuscite pas les corps, elle sublime les mémoires. Elle jette un pont éthéré sur le fleuve du temps qui sépare les vivants de leurs chers disparus.
Mais l’Ia ne se limite pas à l’hommage. Elle est aussi un miroir des aspirations. Certains se projettent dans leur métier rêvé, endossent l’uniforme fantasmé ou s’incarnent en héros de fiction. C’est une puissante affirmation de soi : « Voilà qui je suis, ou qui j’aspire à devenir, lorsque les chaînes du réel tombent ».
L’algorithme devient ainsi un outil de personal branding émotionnel, permettant à chacun de sculpter sa propre légende numérique. Devenir son propre héros, voilà l’ultime narration. L’Ia offre une page blanche où s’écrit non pas seulement le passé, mais l’éclat d’un avenir rêvé. Le paradoxe est saisissant. Ces images, bien que techniquement fausses, portent une charge émotionnelle authentique. Elles répondent à un besoin humain universel : le lien, la reconnaissance, l’appartenance.