Diamniadio, après l’Élysée, c’est non après un oui à la suppression de l’article 80 du Code pénal sénégalais ! D’abord le « oui ». Vingt-et-un ans plus tard, l’engagement formulé par le Président Wade sur le perron de l’Élysée n’a pas été… réalisé par les plénipotentiaires de Pastef au dialogue national sur le système politique.
Vous me direz simplement que l’engagement n’engage que celui qui l’a exprimé, comme les promesses en politique, du reste. Ce qui est juste. Vous me direz également que le très nuancé Me Wade a certainement eu, dans son speech sur les libertés délivré en chœur avec Chirac, un mot ou une expression qui n’a pas été considérée par les interprètes des grands moments d’histoire. Et comme l’interprète est dépeint comme un traitre… M’enfin ! Toujours est-il que deux contextes produisent le même effet. Le contexte de 2004 était marqué par l’arrestation du journaliste Madiambal Diagne pour « diffusion de correspondances et de rapports secrets, diffusion de fausses nouvelles et diffusion de nouvelles tendant à causer des troubles politiques graves ».
Des perles si noires qu’elles poussent à ne pas avoir foi en la rédemption du prisonnier ! En fait, un chapelet de griefs pour qualifier des articles publiés dans Le Quotidien et parmi lesquels le limogeage du Directeur général des Douanes de l’époque et une réunion du Conseil supérieur de la Magistrature. Le Saint des saints profané par l’encre irrévérencieuse d’un investigateur à la plume rebelle. Quand le « pays de dialogue » voyage, les émotions prennent le toboggan sans jamais être loin de la raison… politique. Par un matin de juillet 2004, porté par de grands thèmes de la coopération lors de sa visite auprès d’un Président Chirac lui-même emphatique sur la liberté d’expression, le Président Wade a entrouvert la porte d’une suppression de l’Article 80 du Code pénal sénégalais.
Pour ses pourfendeurs, cet article a une étiquette : « liberticide ». Hélas, les partisans du dynamitage de ce verrou ont fait illusion le temps d’un printemps des libertés au cœur de l’été parisien. Puis, ils se sont rendus à l’évidence : l’Article 80 fait de la résistance comme un monstre à plusieurs têtes. Tant d’attentes déçues sur la suppression d’un « bourreau » de la liberté d’expression dont le trajet si controversé était lié à quarante années de régime socialiste. Il a survécu aux alternances. Changement de locataire du Palais de la République. Macky Sall s’installe et ses anciens frères libéraux regrettent de n’avoir pas supprimé l’Article 80 qui leur est opposé. Ils regrettent également de n’avoir pas dit l’oraison funèbre de la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (Crei) qui a envoyé Karim Wade en prison. Autre changement de locataire au Palais.
Diamniadio, juin 2025. Le dialogue national, agora politique et institutionnelle en fête, remet l’Article 80 sur la table. Niet de Pastef face à la proposition de suppression. L’histoire se répète avec le même refus et sans les mêmes acteurs. La majorité prend la liberté de ne pas enterrer cet épouvantail déclaré de la liberté d’expression. Elle le garde dans l’arsenal de répression ou de protection (c’contre les dérapages verbaux). L’histoire se répète. L’opposition rue toujours dans les brancards, déçue de ne pas voir la porte blindée s’ouvrir. Il y a bien comme une raison d’État qui s’oppose à la suppression de l’Article 80 et de son cousin, l’Article 254 du Code pénal sénégalais qui concerne « l’offense au président de la République » et « à la personne qui exerce tout ou en partie des prérogatives du président de la République ».
Chaque pouvoir sent la nécessité de se mettre à l’abri des dérapages verbaux de l’opposition ou des nouveaux invités de l’espace démocratique présentés en « influenceurs » ou « chroniqueurs ». Chaque opposition sent également le besoin de desserrer l’étau en radiant les articles dits liberticides de l’arsenal juridique. C’est une sorte de jeu des positionnements situationnels, dans la relation très cynique entre le projectile et le bouclier. L’objectif change de la même manière que le projectile et le bouclier changent de main ! Pour cette raison, il n’y a pas un consensus franc sur la nécessité de fermer le long cycle de l’attaque-défense en politique. Les mots sur-vitaminés cognent et blessent. L’espace politique porte plus que jamais son surnom d’arène politique. Les gladiateurs ont jeté par la fenêtre les esprits trop accommodants parce que soucieux d’une certaine élégance tant dans la mise que dans le parler et dans l’attitude.
Ne serions-nous plus capables de bien ? La bienséance est un principe trop lisse pour prospérer dans une ambiance de plomb et de soufre. L’air devient irrespirable par la volonté des antagonistes déterminés à cultiver un bout d’enfer plutôt qu’à multiplier les oasis de courtoisie et de fraternité dans l’adversité toute républicaine. Peine perdue ? L’élégance est un des paris facilement perdus dans une atmosphère de très forte hostilité.
Elle est même une valeur suspecte dans un contexte où la bonté est assimilée à une ruse pour mieux frapper dans le mille, dans le style du baiser de Judas. Et si une certaine classe politique avait pris l’animation de l’espace public du mauvais côté ? Je veux dire du côté des colères fort toxiques. Les interpellations se multiplient, essentiellement pour injures publiques, diffusion de fausses nouvelles, diffamation, offense au chef de l’État ou atteinte aux bonnes mœurs. Soit la parole bienveillante s’est perdue dans le désert des médisants et autres malveillants, soit la parole libératrice est sous coupe réglée. Dans tous les cas, la constante, dans cette affaire, est la rage qui sous-tend les discours. Plutôt que d’être posés et convaincants, les locuteurs, dans notre espace public, se comportent en vociférateurs excités. Le cri est le baromètre de l’agressivité. Pas la pensée positive !