Il y a quelques années, j’ai eu le privilège de visiter l’archipel thaïlandais de Koh Similan, composé d’une dizaine d’îles sur la mer d’Andaman au large des côtes de Phang Nga, dans le sud du pays. Un décor de carte postale : eau turquoise, récifs coralliens, sable blanc, cocotiers, roches volcaniques, nature sauvage, le tout sous une température douce de 25 °C en moyenne toute l’année.
Le dépaysement est garanti. Et pourtant, ce n’est pas ce paysage de rêve qui m’a le plus marqué. Au détour d’un sentier, une petite plaque en bois a capté mon attention. Elle portait un message simple, écrit en thaï et en anglais, que l’on pourrait traduire ainsi : « Ne laissez rien ici si ce n’est l’empreinte de vos pieds ! »
La Thaïlande est un pays touristique qui reçoit annuellement beaucoup de visiteurs internationaux. En 2024, le pays a accueilli 35,32 millions de touristes. Un chiffre record qui implique une logistique importante, mais aussi et surtout une quantité énorme de déchets. C’est justement ici que la politique marche. En dépit de la masse critique de personnes qui se déversent sur les lieux, il n’y a pas un seul déchet qui traine dans les parages.
Tout est propre. Ici, les gens mettent tous les déchets dans leur sac (à main/à dos) et une fois sur le continent les placent dans les zones dédiées. Un bel exemple de réussite dans la gestion des ordures. En Asie bouddhiste, il y a une doctrine qui dit que pour ne pas nettoyer, il faut s’abstenir de salir.
Ailleurs dans le monde, les contrevenants sont frappés au portefeuille. Une amende dissuasive leur est imposée. Dans un pays comme la Suisse, il existe une police qui traque les auteurs d’incivilités dans l’espace public. Y compris ceux qui crachent dans la rue. Ces pratiques pourraient inspirer des pays comme le Sénégal. Sous nos tropiques, l’insalubrité est plus que problématique.
Il suffit de faire un tour autour de soi pour s’en rendre compte. On est habitué aux petits gestes inciviques qui finissent par balafrer le visage de nos rues, quartiers, marchés, plages et autres lieux publics. Manger un fruit et jeter la peau dans la rue ; boire de l’eau et se débarrasser du sachet ou de la bouteille ; boire son café et jeter la tasse n’importe où ; acheter un bien et jeter l’emballage n’importe où ; griller une clope et jeter le mégot par terre ; déverser ses ordures n’importe où et n’importe quand, etc. Des gestes banals et familiers, mais surtout inciviques.
Ces pratiques, qui deviennent des habitudes de tous les jours, ne riment pas avec la propreté. Tout au contraire. Pourtant, les différents présidents de la République qui se sont succédé au pouvoir au Sénégal ont essayé de prendre le taureau par les cornes. L’actuel chef de l’État Bassirou Diomaye Diakhar Faye a, à plusieurs reprises, présidé des « Cleaning days » le premier samedi du mois.
Ce faisant, il invite les Sénégalais à s’approprier le concept. Ne pas salir et surtout nettoyer. En vain ! Au Sénégal, nous avons un rapport particulier avec la chose publique. Combien de fois a-t-on entendu cette phrase irresponsable : « Mbed bi mbedu Buur la » (la rue n’appartient à personne). Une réponse toute faite servie à quiconque nous rappelle nos manquements. Et l’on se croit détenteur d’une licence pour salir ou occuper la rue comme on l’entend. Au détriment du bien-être et de la santé ; sciemment ou inconsciemment !
Pourtant, des modèles inspirants existent sur le continent. Le Rwanda, depuis des années, ne transige pas sur la propreté. Résultat : des villes propres, une image valorisée, une attractivité touristique et économique renforcée. Des délégations viennent de toute l’Afrique pour s’inspirer de son modèle. Car la propreté n’est pas qu’une affaire d’esthétique ou de santé publique.
Elle est aussi un levier de compétitivité, de crédibilité, de dignité nationale. Il est temps de changer de mentalité. De voir la propreté non plus comme une corvée, mais comme un acte citoyen, un devoir civique, un respect envers soi-même et les autres.
Et si, au lieu de laisser des déchets, nous laissions seulement l’empreinte de nos pas ? C’est peut-être par ce petit geste symbolique, sur une plage de Thaïlande, que commence une grande révolution comportementale, ici, chez nous. aly.diouf@lesoleil.sn